« L’ombre si douce de l’Amandier » : nostalgie de l’enfance
Dans un récit autobiographique empreint à la fois de douceur et de nostalgie, le professeur de littérature et écrivain Marc Exavier nous fait entendre, dans L’ombre si douce de l’Amandier, comme l’indique son sous-titre – Chroniques d’une enfance à Saint-Louis du Nord – , les échos de ses premières années d’existence.
« A quoi tiennent la valeur et la grandeur d’un homme ? », se questionne, au bout de quelques lignes, l’homme presque sexagénaire. Pas vraiment dans les titres et les fonctions que l’on nous attribue souvent. Car, se dit-il, « on peut devenir empereur et n’être que Néron », et se souvient qu’ « il y eut de pantins puissants et malfaisants comme l’Adolf Hitler »
Du coup, il nous conte, dans un style simple mais non dénué de charme et d’élégance, les personnes qui ont marqué son enfance, des gens qui ont vécu dans l’ombre et l’anonymat, mais qui, à ses yeux, méritent autant de louanges que celles et ceux qui se sont glorieusement illustrés ici et ailleurs.
Ainsi nous parle-t-il de son grand-père, ancien marin qui a connu et travaillé, à Cuba, avec un certain Angel Castro, père de Fidel et de Raul ; de sa grand-mère vendeuse de café et de cacao ; de ses cousins et cousines avec qui il a grandi, et qui, au gré des circonstances de la vie, se sont éparpillés de part et d’autres de l’Océan Atlantique…
L’auteur d’Anya reve tounen nous met en garde : il « ne rédige pas ces lignes pour brandir [son] arbre généalogique, mais pour décanter quelques leçons que l’existence [lui] a enseignées ».
En parlant d’arbre, il y a bien sûr ce doux Amandier dont l’ombrage a bercé son enfance et berce encore ses souvenirs d’homme de 59 ans. Un arbre dont le tronc « rugueux » et « épais » a été comme un repère pour lui. Jusqu’au jour où, revenant de Port-au-Prince (il avait quitté Saint-Louis à douze ans pour des études secondaires à la capitale), il n’a pas retrouvé le grand arbre au feuillage dense qui « ne laissait passer le moindre rayon de soleil ». Quelqu’un l’avait coupé, déchouqué pour des raisons mystiques.
C’est douloureux. Et, alors, cette question lui revient, lancinante : N’est-ce pas déjà mourir quand les vestiges de son enfance sont effacés ?
Il se souvient avec regret de ses baignades dans la Rivière des Barres, sous l’ombre si douce de l’Amandier ; de son premier amour inachevé car jamais déclaré à cause d’un malencontreux petit incident ; ainsi que de voisins et de voisines qu’il a aimés et dont il ne sait plus ce qu’ils sont devenus.
C’est un beau récit sur l’enfance comme on en fait peu en Haïti, du moins pas assez à mon goût, et qui me rappelle un tout petit peu celui de l’écrivain brésilien José Mauro de Vasconcelos, Mon bel oranger, l’histoire d’un gamin « précoce » qui, incompris de sa famille et souvent maltraité, avait pris pour confident un arbre, un petit pied d’oranges douces, coffre-fort de ses peines et de ses rares joies.
Les « chroniques » de l’enfance du natif du Nord-Ouest d’Haïti s’inscrivent aussi dans la ligne de celles écrites par l’écrivain et académicien Dany Laferrière, notamment L’odeur du café ou encore Le charme des après-midi sans fin, des souvenirs d’une enfance à Petit-Goâve.
Je prescris donc la lecture de ce récit de presqu’une centaine de pages, qui nous propose de belles lignes sur une période fondamentale de toute vie : l’enfance.
L’ombre si douce de l’Amandier. Chroniques d’une enfance à Saint-Louis du Nord, C3 Éditions, 2021.