Muanca Bonarchie Lucien : « le féminisme rentre dans la mouvance de l’humanisme »
L’humanisme est une doctrine qui place la personne humaine et son épanouissement au-dessus de toutes les autres valeurs. Ainsi, l’humain est placé au centre du vécu et des décisions, particulièrement sociales, économiques et politiques indépendamment de la race, du sexe et d’autres considérations géographiques et/ou biologiques.
Le féminisme est défini comme un mouvement social qui a pour objet l’émancipation de la femme et l’extension de ses droits en vue d’égaliser son statut avec celui de l’homme, en particulier dans les domaines juridique, politique, économique. La doctrine féministe trouve sa mouvance et surtout son essor dans le concept de genre qui lui sert de socle. En d’autres mots, le genre est la construction sociale du sexe. Celui-ci vient en opposition à la répartition rigide des rôles sociaux en fonction du sexe. Il postule le fait que notre environnement, la façon dont on est éduqué, nous poussent à jouer telle ou telle place dans la société si on est un homme ou une femme », explique dans Les Dernières Nouvelles d’Alsace Céline Petrovic. Dans cette dynamique, le féminisme réclame l’accès à des privilèges identiques pour les deux sexes et la disparition de toute discrimination liée au sexe.
Dans la mouvance esclavagiste, les femmes haïtiennes ont, tout comme les hommes effectué de nombreux actes de résistance marquée contre le système colonial français, lequel se démontrait manifestement patriarcal. Exposées à toutes formes d’abus, les femmes de Saint-Domingue ont été nombreuses à rejeter la maternité, ayant pour cela recours à des avortements et des infanticides. De plus, la femme haïtienne n’est pas absente de la lutte pour l’indépendance. Elle procède souvent par empoisonnement et joue le rôle d’intermédiaire, ou plutôt de colporteuse, car elle a accès au domicile du maitre. Cela est parfois considéré comme le point de départ du féminisme haïtien. Toutefois, celui-ci s’est institutionnalisé en 1934 avec la Ligue Féminine d’Action Sociale (LFSA). Le programme politique de la LFAS incluait l’amélioration physique, économique et sociale des conditions de vie de la femme haïtienne et la reconnaissance de l’égalité civile et politique. Cet agenda n’est pourtant pas au goût du système politique de l’époque et la femme devra lutter pour la reconnaissance de ses droits. La loi du 25 janvier 1957, reconnait à la femme haïtienne les droits civils et politiques. Désormais, toute femme âgée de 21 ans est autorisée à voter et les femmes peuvent se porter candidates à tous les postes électifs.
Empêché dans la réalisation de ses objectifs, le féminisme haïtien devra se battre longtemps pour l’obtention de simples droits humains, lesquels sont sensés être inaliénables. Après la chute du régime duvaliériste, le 3 avril 1986, plus de 30 000 femmes ont manifesté dans la capitale haïtienne sous l’initiative de Fanm d’Ayiti en vue d’exiger leur intégration « dans tous les mécanismes de construction de la démocratie tout en réclamant un égal accès aux droits fondamentaux, à l’emploi et à la santé ». Peu après, à la suite de la première élection de Jean Bertrand Aristide en 1990 et le coup d’État militaire mené par le général Raoul Cédras huit mois plus tard, les abus des droits humains à l’endroit des femmes – en particulier le viol comme arme de répression – augmentent drastiquement. En réaction, les organisations féministes dénoncent ces abus et incitent la communauté internationale à documenter l’utilisation des agressions sexuelles à cette fin, tout en sensibilisant les femmes sur la question. Depuis, de nombreuses organisations haïtiennes et étrangères militent pour le respect des droits des femmes.
On comprend au regard de ce bref exposé que la lutte féministe en Haïti a toujours été orientée vers le respect des droits de la femme, et par conséquent des droits de l’Homme, lesquels sont tributaires de l’humanisme. Discriminées, maltraitées, considérées comme d’éternelles mineures, reléguées aux tâches domestiques, les femmes se sont réunies autour du féminisme pour réclamer la reconnaissance de leur humanité et exiger d’être traitées comme ce qu’elles sont : des êtres humains. Toutes les actions posées par le féminisme tendent vers la liberté, liberté de penser, de choisir et d’agir, ce qui se situe à la base même de l’humanisme qui se réserve le droit de tout remettre en question dans un souci de respect de la dignité humaine. Il apparait alors évident que le féminisme rentre dans la mouvance humanisme, plaçant l’humain au cœur des débat et combattant toute volonté de le soumettre à une entité extérieure jugée supérieure, et ce, souvent sur des bases arbitraires.
Bibliographie
• Jasmine Laroche. Le féminisme haïtien : portrait d’un mouvement fort, Denyse Côté, « Anpil Fanm Tonbe, N’ap kontinye vanse : Luttes féministes en Haïti », Revue Possibles, vol. 38, no 1, 2015.
• Michel Hector/ Laёnnec Hurbon. Genèse de l’Etat Haïtien, Edition de la maison des sciences de l’homme, 2009.