Gedeon Jonathan : « les féministes revendiquent l’idéal ‘tout moun se moun' »

Le mouvement féministe haïtien s’est développé à l’orée des années 90. En effet, profitant de l’effervescence de 1986, des militantes haïtiennes avaient mobilisé des gens (pro-féministes) en vue de revendiquer à ce que toutes les personnes de la société peuvent jouir les mêmes droits et les mêmes privilèges – indépendamment de leur sexe. Cela ne sous-entend pas que les luttes féministes en Haïti ont débuté durant cette période mais nous insinuons que les mouvements féministes, dans le pays, ont connu une grande montée après la chute des Duvalier. Plus scrupuleusement, les militantes féministes prônaient l’émancipation des femmes qui, dans le pays, sont très liées au travail domestique et familial, c’est-à-dire les tâches ménagères. 

 

Depuis lors, les mobilisations orchestrées par les militantes féministes haïtiennes ont donné beaucoup d’acquis aux femmes en termes de jouissance de certains droits tant sociaux que politiques. Toutefois, malgré l’éloge de ces acquis par la société constituant le résultat de plusieurs années de bataille des féministes, nombreuses sont celles qui ne refusent l’étiquette féministe à leur nom. Elles revendiquent de préférence le qualificatif humaniste. La question qu’une telle considération soulève est bien évidemment, dans quelle mesure le féminisme haïtien est-il un humanisme ?

 

Haïti : une société marquée par l’inégalités des sexes

 

En Haïti, comme bien d’autres pays dans le monde, les femmes sont dominées et sont assimilées à des activités de second rang. A titre d’exemple, les parents investissent beaucoup plus en Capital Humain des garçons que des filles. Or, les inégalités scolaires entre les sexes ont des conséquences sur le mode d’insertion sur le marché du travail et donc sur les revenus. Car, un manque d’investissement en capital Humain – caractérisé par un niveau d’éducation faible – a un rapport étroit avec le niveau de productivité d’un individu.

 

Dans les sociétés traditionnelles comme Haïti, la famille joue un rôle de transmission des traditions et des valeurs. Traditionnellement, les femmes haïtiennes sont assimilées aux tâches domestiques, ce qui a poussé Mireille N. Anglade, à la fin du 20ème siècle, a assimilé le travail domestique au travail des femmes. Dans le pays, l’éducation des enfants est assurée d’abord, par la famille. La famille traditionnelle haïtienne éduque, formalise, intériorise un ensemble de valeurs aux petits enfants. Les filles sont éduquées à être les remplaçantes de leurs mères, dès leurs plus jeunes âges, elles apprennent les tâches ménagères. Elles apprennent à prendre soin du foyer, à faire la vaisselle, la lessive, le repassage. De ce fait, comme l’a souligné Michèle Ferrand, il devient difficile pour une jeune femme haïtienne de s’affranchir « des normes et des habitus intériorisés inconsciemment » (2004 : 50).

 

A côté de la famille, l’école – un autre lieu de socialisation – participe à modéliser le comportement des filles. A l’école, les inégalités de genre sont retransmises. Après leurs études universitaires, une bonne partie des filles se dirigent vers des écoles professionnelles ou les écoles réservées presqu’exclusivement aux filles. On peut citer, entre autres, le secrétariat, les écoles infirmières, la cosmétologie. Comme le dit Gingras (1998 : 68), « les choix d’orientation sont encore fortement marqués par l’identité sexuelle ».

 

De surcroit, les discriminations dont subissent les femmes dans l’espace familial et dans le milieu occupationnel, ont un impact majeur sur l’insertion des femmes sur le marché de l’emploi. En effet, avec un même niveau de productivité et une même efficacité au travail, les hommes sont quelque fois mieux rémunérés que les femmes. Ces pratiques discriminatoires au marché de l’emploi tendent à réduire l’insertion des femmes dans cette sphère, car la discrimination salariale peut conduire à une ségrégation sur le marché du travail et inversement (HAVET & SOFER, 2002). Bien que soit ratifiée en 1951, une Convention sur l’égalité des salaires, en 1955, les Conventions de l’OIT relatives à une rémunération égale pour un travail de valeur égale et en 1981, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF).

 

Le mouvement féministe : une lutte pour l’émancipation de la femme

 

Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, le mouvement féministe haïtien s’est développé dans une période de grande revendication socio-politique. Depuis 1986, les militantes féministes, à travers notamment des organisations de femme, ont mené des luttes pour la conquête et/ou le respect des droits des femmes et pour l’égalité entre les genres. Leurs mouvements s’inscrivant dans un sens plus large, d’une lutte pour l’émancipation de la femme, ont pu au regard d’un ensemble de facteurs minimisant les barrières traditionnelles qui ont freiné les résultats des femmes en matière d’acquisition de capital humain et de participation sur le marché du travail.

 

 Sans pour autant faire une présentation en profondeur des combats menés par les féministes, nous pouvons avancer que le mouvement féministe a le mérite d’essayer d’inscrire dans les débats publics et dans l’espace médiatique les différents problèmes dont sont confrontés la société haïtienne à travers les conditions des femmes constituant plus de la moitié de la population du pays. Qui plus est, de nos jours, les problèmes de violence constituent une préoccupation centrale, les organisations féministes ne sont-elles pas les premières à attirer l’attention sur les problèmes de violence notamment les violences basées sur le genre.

 

Féminisme (haïtien) et humanisme : Quel lien ?

 

Ces considérations nous permettent de soulever l’idée que le féminisme (haïtien) est un humanisme, dans le sens que leurs revendications visent une société plus juste et égalitaire. Certes, ce mouvement vise d’abord et avant tout, les femmes dans la société mais en prônant l’équité de genre et le respect des droits de la plus grande partie de la population haïtienne, en l’occurrence, les femmes, les féministes revendiquent également l’idéal de la révolution haïtienne « Tout moun se moun ». Ce n’est pas encore l’apothéose. Beaucoup de choses restent à faire et à corriger pour arriver non pas à l’émancipation d’un groupe de femmes intellectuelles voulant infiltrer la classe dominante, mais à l’émancipation de toutes les femmes indistinctement. D’où la nécessité d’allier le mouvement féministe haïtien dans la perspective d’une intersectionnalité. Et, les féministes haïtiens doivent cesser de se faire financer par des ONG qui sont des outils utilisés par les pays occidentaux pour faire asseoir le système capitaliste, patriarcal et affaiblir l’État dans les pays sous-développés.

 

 

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