#PetrocaribeChallenge : Retour sur les moments forts de la première année
Si la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif en 5 mois a accouché de deux rapports sur la gestion des fonds du programme Petrocaribe, c’est en grande partie grâce au « #PetrocaribeChallenge ». Ce mouvement populaire, dont l’objectif était d’aboutir à un procès juste, équitable et transparent sur l’utilisation du fonds obtenu de l’accord conclu avec le Venezuela sur le pétrole, peut se contenter d’être à mi-chemin de ce projet. Un an après le fameux tweet du cinéaste Gilbert Mirambeau Junior, événement déclencheur du mouvement sur les réseaux sociaux, un retour sur les grands moments de cette lutte contre la corruption.
14 août, une date phare dans l’histoire de la révolution haïtienne
Le 14 août 2018, date qui coïncide avec la commémoration de la cérémonie du Bois-Caïman, Gilbert Mirambeau Junior publie sur son compte Twitter une photo de lui, les yeux bandés et à la main un morceau de carton sur lequel est inscrit : « Kote Kòb Petwo Karibe A ? ». La photo n’a pas tardé à devenir virale. Cette question qui a suscité beaucoup de tensions sur les réseaux sociaux les plus populaires en Haïti, allait conduire à ce grand mouvement populaire qu’est le #PetrocaribeChallenge.
De Twitter à la rue
Le mouvement lancé avec les hashtags #KotKobPetrocaribeA, #PwosèPetwocaribe, a gagné les rues assez rapidement. Le 24 Août 2018, c’est la date des premiers sit-in et marches pacifiques organisés aux alentours des locaux de la CSC/CA à Port-au-Prince et dans quelques autres villes de province, exigeant un audit sur les utilisations du fonds.
D’autres mobilisations allaient être lancées par la suite, par des leaders autodésignés du mouvement dont les plus importantes sont celles du 17 octobre et du 18 novembre 2018.
A rappeler que les 20, 21 et 22 décembre 2018 ont été marqués par des manifestations populaires incessantes dans tout le pays.
Période de sensibilisation et d’éducation
Quelques temps après le lancement du mouvement #PetrocaribeChallenge, s’est suivi une grande période de sensibilisation autour du fonds Petrocaribe. Plusieurs groupes et individus se sont érigés en véritables formateurs sur ce que représentait l’argent du programme et sur les projets qui devraient être réalisés à partir de ce fonds. C’est dans cette optique que le groupe Ayiti Nou Vle A a pris naissance sous l’égide de la blogueuse Patricia Camilien. Cette organisation était créée dans l’objectif de favoriser un changement dans la société haïtienne. Un projet qui s’étendra sur une durée de 30 ans, à en croire les initiateurs. En conséquence, ils avaient proposé de concert avec d’autres volontaires l’élaboration d’un document qui présenterait quelques visions d’une Haïti meilleure et des moyens pour y parvenir.
Ayiti Nou Vle A a sans doute été le chef d’orchestre du mouvement dès ses premiers pas. Cependant, quelques mutations du groupement et l’émergence d’autres groupes ont en quelques sortes altéré sa force.
Une pullulation de nouveaux hashtags
PetrocaribeChallenge ne saurait être le mouvement d’un seul groupe, le combat concerne toute une population. En ce sens, plusieurs autres groupements vont prendre naissance dans la période de décembre 2018 à février 2019 : #Noupapdomi, #Noupapkonplis, #Noukonsyan, etc. Cependant, l’objectif restait toujours le même : exiger un procès Petrocaribe. Mais, la donne allait changer suite à la publication du premier rapport de la CSCCA.
La publication d’un premier rapport par la CSC/CA
Après environ 5 mois d’attente, la CSC/CA qui n’avait délivré aucun rapport détaillé sur une période de 10 ans environ, a procédé à la publication du premier rapport sur l’utilisation du fonds Petrocaribe. Un premier résultat du travail mandaté un an plus tôt par le sénat haïtien et boosté quelque peu par le mouvement. Ce travail consistait à passer en revue les différents projets qui ont été financés à partir du fonds Petrocaribe et les institutions chargées de leur exécution.
Aux lendemains de cette publication le 31 janvier 2019, les citoyens sont passé à une nouvelle phase du mouvement. Le rendez-vous a été en effet donné pour le 7 février, pour une énième manifestation de rue qui allait, en plus du procès Petrocaribe, exiger la démission du président. Cette manifestation conduira à une longue période de couvre-feu inattendu sur tout le pays. Ce moment d’hibernation générale ou Peyi Lock a été mal accueilli par la majorité de la population, vu qu’aucune institution publique ou privée ne fonctionnait.
La « démission » de Jean-Henry Céant
Si le président a été tenace malgré les tensions qui s’élevaient à son encontre, le premier ministre de son coté, n’a pas eu assez de moyens pour contrecarrer une chambre basse pour le moins impitoyable. De plus, la nomination d’un autre premier ministre par intérim, alors qu’il n’avait même pas encore remis sa démission a été la goutte qui fit déborder le vase. Malgré les démarches entreprises par le chef du gouvernement pour s’extirper de ce bourbier politique, il a été préremplacé par un Jean-Michel Lapin qui n’a pas été lui non plus apprécié par le parlement.
La démission de Jean-Henry Céant ne s’inscrit pas directement dans les démarches des petrochallengers, mais c’était un moyen pour le président Jovenel Moïse de calmer la situation et de détourner l’attention de sa personne. Le premier ministre Céant fut un bouc émissaire malheureusement trop dupe.
Un second rapport qui pointe du doigt le président de la République
Dans la matinée du 31 mai 2019, des membres de la CSC/CA ont remis le rapport final au président du Sénat, Carl Murat Cantave. Ce dernier rapport fait suite au compte rendu d’audit publié le 31 janvier 2019.
Le président de la République, en l’occurrence Jovenel Moïse, se trouve au premier rang indexé par ce rapport de la CSC/CA : un document de 612 pages qui présente une analyse détaillée de 77% des montants transférés par le BMPAD vers les institutions chargées de la réalisation des projets de développement.
Une deuxième publication qui ne restera pas sans effets…
Peyi Lock, deuxième chapitre
Suite à la publication du rapport final sur la gestion du fonds Petrocaribe, les différentes organisations du mouvement ne sont pas restées indifférentes.
L’accusation, par ce rapport, du président de la république a poussé les Petrochallengers au comble de l’exaspération. Une grande manifestation a été une fois de plus organisée le 9 juin 2019, sur tout le territoire national. Une manifestation pacifique qui a mal tournée, vu que celle-ci est terminée sur un bilan sombre. Le pays, du moins Port-au-Prince, allait connaitre la deuxième saison du phénomène Peyi Lock.
#Unfollow Jovenel Moïse
C’est pour la première fois dans l’histoire du pays qu’un président de la République a été autant insulté. Durant tout le mois de juin, les réseaux sociaux ont été en flamme. Le président Jovenel Moïse a essuyé pas mal d’injures de la part des internautes.
De plus, plusieurs membres des différents secteurs de la société civile réclamaient sa démission. Le #PetrocaribeChallenge, dont la mission était la reddition des comptes, allait alors connaitre un revirement assez considérable, suite à l’intrusion de plusieurs acteurs politiques. Pourtant, rien ni personne n’a réussi à faire renoncer à son trône le président de la République. Pour prouver l’illégitimité de ce dernier, les petrochallengers ont lancé une campagne de #UnfollowJovenelMoise, dans l’après midi du 11 juin 2019. Cette campagne a dégarni son compte Twitter officiel de plus de 2000 abonnés.
7 tours du palais national
Après la campagne sur twitter, les petrochallengers ont réinvesti les rues du champ-de-mars, les 13 et 14 juin pour un « 7 tours » du palais national. Cet acte symbolique a été exécuté dans le but de réclamer le départ du président de la République présumé corrompu. Ces « 7 tours » n’ont malheureusement pas abouti à quelque chose de concret. Aujourd’hui encore, Jericho (Jovenel Moïse) est toujours debout.
Ces deux journées ont clos une série de 10 mois de manifestations récurrentes dans tout le pays. Mais, dès lors, le mouvement #PetrocaribeChallenge connait une longue période sabbatique. Les parlementaires de la 50e législature semblent voler la vedette aux petrochallengers, car depuis plusieurs semaines, ce sont eux qui mènent la danse. Cependant, les petrochallengers n’entendent pas abandonner aussi tôt. Nou pap dòmi, pour fêter la première année du mouvement, organise ce mercredi une nouvelle marche pour exiger des suites aux rapports de la CSC/CA.