Société

Vertières est à refaire !

Ce jour-là, l’histoire de l’humanité a été ébranlée. Un événement inimaginable, imprévisible, venait de se produire. Des anciens esclaves se sont déclaré libres. En effet, après plus de trois siècles de torture, de traitements inhumains, mais aussi de luttes et de résistance, des « va-nu-pieds », sont devenus des héros, en mettant en déroute l’armée coloniale française à Vertières. Ainsi, Haïti est devenu la première république noire, libre et indépendante au monde.

Avec l’insurrection du 22 août 1791 et la constitution de 1801 de Toussaint Louverture, les noirs de la colonie de Saint-Domingue voulaient être maîtres de leur propre destin. Ils se soulevaient du Nord au Sud de la colonie. Saint-Domingue commençait à être de moins en moins rentable. La métropole devait réagir. En février 1802, sur ordre de Napoléon Bonaparte, des troupes françaises débarquèrent au Cap-Français pour le redressement de la colonie de telle sorte qu’ils puissent implanter un empire colonial en Amérique.

L’armée indigène, mal équipée, avec le général Toussaint Louverture en tête a eu le temps de se mobiliser, pour affronter celle de Napoléon dirigée par Leclerc. L’expédition avait 36 navires et 23 000 hommes, tous formés, pour venir exécuter le projet de Napoléon. Toussaint ordonna à ses officiers d’incendier toutes les villes et toutes les plantations qu’ils ne pouvaient défendre. Ils n’avaient pour moyen que la colère et le feu. En fait, l’armée de la masse servile bien que ses ressources eurent été faibles, a lutté pour faire respecter ses droits : « à la liberté, à l’autodétermination et à l’humanité ». La révolution comme contre-violence à la violence coloniale ! Ils préféraient mourir en héros au lieu de servir les colons ; ils avaient fait de « liberté ou la mort » leur credo ; de Saint-Domingue un enfer pour les colons. Les esclaves, de ce fait, ont commencé leur vie, acquis leur humanité en acceptant de mourir. À Vertières, les canons ont chanté liberté, les fers de l’esclavage ont été brisés.

Malheureusement, le chef de file, Toussaint, n’y avait pas participé. Les Français l’ont arrêté par traîtrise et l’ont déporté en France, le 7 juin 1802. Mais, il l’avait prédit, « le tronc de l’arbre de la liberté des Noirs abattu à Saint-Domingue repoussera par ses racines, car elles sont profondes, nombreuses et vivaces » ; Dessalines allait être désigné pour le remplacer. Après trois affrontements : la bataille de la Ravine-à-Couleuvre, le 23 février 1802, celle 4 au 24 mars à Crête-à-Pierrot et le 18 novembre 1803 à Vertières, les français humiliés, ont dû plier bagages. Le rêve occidental a été quelque peu gâché. D’autres colonies européennes du continent ont dû emboîter le pas dans la lutte pour leur dignité. Les esclaves se rebellaient, le mot « liberté » résonnait partout et pour tous, sans distinction aucune.

Il était temps, le rêve que caressaient les exploités de la colonie s’était concrétisé. Les anciens esclaves remportaient la victoire ; et le héros du jour : Francois Capois. Sous le feu des canons, à la tête de sa troupe, intrépide, il s’empara de Vertières en criant « En avant, En avant, les boulets sont de la poussière », une phrase culte dans l’histoire d’Haïti.

Le 18 novembre 1803, l’esclavage fut réellement aboli, Saint-Domingue est redevenu Haïti, la première république noire est proclamée.

Vertières, lieu de mémoire du triomphe de la liberté ; un modèle du pouvoir de la volonté dans la lutte du respect des droits humains ; un exemple d’unité à suivre devant l’échec de la division nationale ; haut lieu de la fierté de nos aïeux et des Noirs du monde entier ; un exercice de courage et de résistance à cultiver au quotidien. Le souvenir du sang et de la sueur des nègres coulés pour la terre d’Haïti. Il nous rappelle aussi la déroute honteuse des troupes françaises ; le cri d’une gloire étouffée en France et dans tout le reste de l’Occident.

La bataille de Vertières devrait nous inspirer vigueur, bravoure et résistance pour continuer la lutte de la libération, puisque si elle a longtemps été arrachée à la France, nos adversaires sont aujourd’hui plus nombreux et tout aussi cruels. A l’instar de nos ancêtres, nous avons le devoir de nous mobiliser pour les affronter. D’une part, c’est l’impérialisme et l’ingérence, d’autre part, c’est la pauvreté, le chômage, l’insécurité, les inégalités dus à la mauvaise gouvernance et la corruption. Nous sommes un peuple de résistance, de courage et de combat. Il faut donc envisager de nouvelles batailles pour vaincre les maux qui nous rongent aujourd’hui.

Le pays est au bord de l’effondrement, son avenir dépend de nous. Inspirons-nous de cette immense victoire, animons-nous de courage et de force pour assurer la postérité à la liberté, du moins pour la réacquérir. Le pays est en perpétuelle guerre et on a besoin de nouvelles batailles : de nouveaux Vertières ; pour nous libérer du néocolonialisme, pour nous débarrasser de l’extrême précarité ; une autre lutte pour avoir une éducation de qualité et émancipatrice pour tous les enfants ; une autre bataille pour redonner espoir à la jeunesse abandonnée ; un autre combat pour trouver la stabilité politique perdue depuis toujours ; un autre Vertières pour réunir les fils et les filles du pays, divisés. Nos pères nous ont légué l’indépendance, nous devons à notre tour mettre le pays sous la voie du développement. Vertières est à refaire !

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Jerry Stanley Bastien

Je suis originaire des côtes-de-fer, étudiant à la faculté des sciences humaines de l'Université d'État d'Haïti. Passionné de la lecture et de l'écriture. Je crois qu'Haïti peut renaître de ces cendres si sa jeunesse s'implique.

Un commentaire

  1. Il est effectivement grand temps de renaître, de nous replonger dans cette bataille pour la vie, le respect et la dignité. Habitué à combattre les systèmes injustes et fouler sous nos pieds nos oppresseurs, nous qui avons vaincu le colonialisme, peut aujourd’hui combattre le néocolonialisme, intérieur et extérieur, et marqué l’histoire du monde une ènième fois.

    Bravo à Jerry S. Bastien ! Félicitations et bonne continuité à toute l’équipe de Rektili !

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