Société

À quoi servent les psychologues ?

Qu’il s’agisse d’un manque d’informations sur le domaine de la psychologie dû à un défaut d’éducation, d’obstacles culturels ou tout simplement d’une conscience muette sur la gravité de ses maux, consulter un spécialiste du comportement humain n’a jamais été une priorité pour un grand nombre d’Haïtiens. Dans cet article nous tenterons de vous expliquer les causes de cet état de fait en nous basant sur quelques analyses et les propos d’une professionnelle.

Présentation de la psychologie en tant que discipline scientifique

La science qui étudie le comportement et les processus mentaux, se distingue des sciences naturelles comme la biologie, la chimie, la physique ou encore l’astronomie, de part le caractère plus ou moins abstrait de son objet d’étude. Si le comportement a pu se résumer dans ce domaine aux actions et réactions observables chez les humains et les animaux, le processus mental demeure quant à lui beaucoup moins palpable vu qu’il renferme l’ensemble des fonctions de la pensée telles que la mémoire, la résolution de problèmes, la créativité, la perception et l’intelligence entre autres.

Par ailleurs, la psychologie n’en demeure pas moins une science, car pour parler du caractère scientifique de n’importe quel domaine, la prépondérance ne reviendra pas au caractère abstrait de son objet d’étude mais plutôt aux preuves liées aux répétitions d’expériences qui tendent à démontrer des postulats ou théories. Les théories de la psychologie font également objet de démonstration. Autrement dit, les théories subissent l’épreuve des faits et sont soit acceptées soit rejetées.  Il n’y aurait donc pas lieu, a priori, de douter de la psychologie en fonction d’une question de dignité scientifique du domaine. À travers le monde, ils sont légion ceux qui ont pu bénéficier du savoir-faire d’un psychologue mettant en œuvre ses connaissances scientifiques.

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Néanmoins en Haïti, le débat est moins élevé et les raisons qui dissuadent de consulter un psychologue ne cherchent pas une satisfaction du côté de la science. C’est d’abord l’ignorance, due à un défaut d’éducation qui oriente les prises de décisions. Selon les dires de notre interlocutrice, Madame Magalie Jean-Gilles*, beaucoup d’Haïtiens se méprennent du travail des psychologues. Pour nous éclaircir elle a cité deux raisons principales qui expliqueraient ce phénomène : la sous-estimation et la surestimation du travail des psychologues.

Sous-estimation du travail

Pour aborder la question de la sous-estimation du travail des psychologues, Magalie s’est appuyée sur les mauvaises tendances qui poussent beaucoup de gens à penser que le psychologue ne fait rien que ne puisse faire un ami. Cette catégorie de personne trouve que le travail du psychologue est dérisoire et n’est d’aucune nécessité. Elle préfère à cette science « négligeable » la relation de confiance qui existe dans l’amitié et le réconfort des mots couronnés de bienveillance et de sagesse amicale.

Or, selon notre psychologue, la psychologie a une importance capitale et sans avoir l’intention de briser les supports mutuels d’amitié, elle a un rôle incontournable dans une société. En précisant d’abord que le psychologue est avant tout un ami, Magalie a tenu à rapporter une triste réalité que l’amitié seule ne saurait redresser sans des connaissances scientifiques sur le comportement humain. Elle s’est expliquée en ces termes : « Au cours de ses années d’existence, l’homme accumule une série de traumatismes, d’expériences qui laissent un mauvais goût. Cela rend parfois amers ceux qui ne parviennent pas à les surmonter. On constate un cycle de blessure qui se perpétue. Si chacun prenait soin de ses blessures, l’envie de faire le mal diminuerait. Or le psychologue est là aussi pour aider à soigner ces blessures ! »

Surestimation du travail

Aussi ubuesque qu’elle puisse paraître, la surestimation du travail du psychologue existe en Haïti et elle n’a rien de positif. Elle existe à deux niveaux selon les dires de notre spécialiste en psychologie. Il s’agit d’abord d’une surévaluation qui pousserait à croire que les psychologues sont des devins qui jugent ou manipulent leurs patients. Notre interlocutrice a précisé de quoi il s’agissait en ces termes : « Beaucoup de gens ont peur des psychologues parce qu’ils se disent que ce sont des personnes qui lisent dans les pensées et pensent ainsi à tort que les psychologues manipulent leurs clients. »

De plus, une autre forme de surévaluation concerne les personnes qui, après une ou deux séances avec un psychologue s’attendent à une guérison immédiate. « Une autre forme de surestimation c’est que les gens ne comprennent pas qu’un psychologue ne donne pas de remèdes ni de conseils magiques. Pour parvenir à traiter un trouble mental il faut du temps, de la patience et de la volonté. Mais généralement les gens s’impatientent dans l’attente des résultats », reproche-t-elle à ces gens.

La prise de conscience sur la gravité de ses troubles mentaux

En poursuivant notre entretien, nous avons appris que des gens ignorent que les psychologues aident également à mieux cerner les causes des troubles psychologiques, en pensant qu’ils savent tout. Ce phénomène est récurrent et a pour conséquence une sous-évaluation des crises vécues et de leurs répercussions sur le mental. Bon nombre d’Haïtiens ne font pas exception dans cette catégorie de personne qui croit toujours savoir ce qui ne va pas chez-elle et connaître du même coup le remède approprié. Or, tous les troubles ont leurs causes profondes dont les spécialistes du domaine sont les seuls à pouvoir défaire les nœuds.

Notre interlocuteur a jugé bon de nous préciser que la dépression, l’anxiété, la procrastination et  le stress sont des problèmes psychologiques parmi d’autres encore que le psychologue est à même de déraciner. Le psychologue a des connaissances scientifiques que nulle interprétation personnelle ne peut égaler. Son travail est d’accompagner son patient, de le mettre sur la voie de la guérison qu’il atteindra probablement avec un temps proportionnel à la profondeur de ses maux et la compétence de son accompagnateur. Mais pour accomplir un tel exploit, il faudra toujours le premier pas de celui qui souffre. Ce sera toujours à lui de prendre conscience de la gravité de son mal et de son impuissance autant qu’il lui sera donné de le ressentir et ensuite de s’en remettre volontiers au pouvoir de la psychothérapie.

Les obstacles culturels et la sensibilisation

Outre les explications de la psychologue, nous pouvons également tenter d’appréhender le phénomène dans une approche culturelle. Dans les moindres cas où un Haïtien accomplit l’exploit de prendre conscience de ses propres troubles, il se tournera vers la religion (la prière ) vers les plaisirs sensuels (sexe, nourriture, beuverie ) etc. Il préférera toutes les formes d’exutoires qui pourront l’aider à oublier son mal, mais il ignorera complètement le psychologue tout simplement parce qu’il n’a pas cette culture. Il connait la prière car la religion est partout et souvent même imposée dans les familles. Il connait le plaisir car cela fait partie de son quotidien. Mais il ne connait pas le psychologue. Il n’a jamais reçu cette éducation, ni à l’église, ni dans la famille, ni à l’école. Ces trois institutions sociales semblent elles aussi se méprendre du travail du psychologue et cela empêche l’Haïtien de prendre l’habitude de se tourner vers la psychothérapie.

Cette situation pose problème et nous a conduit à questionner notre spécialiste du comportement humain sur les efforts réels consentis par les psychologues pour se faire valoir et contrecarrer ces obstacles culturels. Magalie nous a alors renseigné à ce sujet en abordant les campagnes menées par les professionnels de la discipline tout en  rappelant la nécessité d’une collaboration unanime. « Nous faisons passer des annonces à la radio, dans les émissions télévisées et beaucoup de publicités sur les réseaux sociaux. Nous nous rendons dans les écoles et les églises. Mais le travail de sensibilisation revient à tout un chacun pour intégrer la psychologie dans notre culture », a-t-elle affirmé.

On peut aussi comprendre ici que la psychologie en tant que science n’a pas à se heurter continuellement aux biais culturels, mais plutôt qu’il serait préférable qu’elle s’intègre dans la culture du peuple haïtien. Il revient aussi à tous ceux qui sont conscients de l’importance des psychologues en Haïti de sensibiliser leurs proches sur la question. Reste à savoir si dans un futur proche ou lointain, les psychologues pourront réellement se faire apprécier par la population à leur juste valeur.

Il faut également souligner l’existence d’une « ligne d’urgence psychologique » gratuite, disponible pour tous ceux qui n’auraient pas les moyens de se payer les services privés d’un spécialiste du comportement humain : 2910-9000. La ligne fonctionne du lundi au vendredi, de 8h à 20h et le samedi de 8h à 12h.

Si vous avez lu notre article « la dépression existe » vous avez sans doute une idée claire de ce mal qui se répand de plus en plus ces derniers temps. Nous croyons qu’il est temps de prendre plus au sérieux nos maux mentaux et cesser par la même occasion de nous méprendre du travail de nos psychologues.

*Pour des raisons liées à sa profession, nous avons utilisé un pseudonyme (Magalie Jean-Gilles) pour désigner notre interviewée.

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Steevy Francisque

Jeune Capois, amateur de poésie, je me lance également dans l'écriture de nouvelles. Études interrompues à la Faculté de Linguistique Appliquée (FLA), étudiant en dernière année de Gestion des affaires à l'École Nationale Supérieure de Technologie (ENST).
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