Haïti/COVID-19. Les gens, auraient-ils tort de refuser de se faire vacciner ?
Vu l’opposition catégorique aux nouveaux vaccins affichée de manière récurrente par les peuples partout dans le monde, puisque ce même comportement est aujourd’hui constaté en Haïti, où seulement 0.2% de la population a déjà reçu le vaccin, nous nous demandons dans cet article s’il s’agit de vice ou d’une prise de position éclairée de ceux qui s’y opposent.
Le refus farouche de se faire vacciner, cette appréhension qui pousse les individus à se méfier des inoculations ne date pas d’hier. C’est un phénomène récurrent, qui s’est manifesté dans de nombreux cas de proposition de vaccins pour résorber de nouvelles pandémies. Les maladies les plus virulentes se sont vu éradiquer grâce à la vaccination, néanmoins les mentalités récalcitrantes semblent éternelles et aucun chercheur jusqu’ici n’a encore trouvé un remède à ce scepticisme invétéré.
Deux exemples historiques
Nous pouvons vous citer, entre autres, deux exemples dans l’histoire, de maladies dont les vaccins au départ avaient été controversés. Remontons au siècle de Voltaire, au 18e siècle, plus précisément en 1796, quand le scientifique et médecin anglais Edward Jenner — considéré comme le père de l’immunologie — eut l’idée de guérir et de prévenir la variole par l’inoculation d’une souche bénigne nommée vaccine. D’abord décrié pour des motifs plus craintifs que scientifiques, la vaccine fut finalement acceptée et la vaccination arriva à bout de cette maladie caractérisée par une éruption vésiculo-pustuleuse en 1980.
Le fameux vaccin contre la rage dont la découverte revient à Louis Pasteur à la fin du 19e siècle a lui aussi subi des critiques comme quoi le génie aurait mis au point une rage de laboratoire lors de ses premiers essais ratés. Pasteur avait poursuivi les travaux de Pierre-Henri Duboué et de Pierre Victor Galthier avant d’aboutir en 1885 à l’invention du vaccin antirabique qui fit enfin ses preuves. Découverte d’abord critiquée à son tour, l’approbation de la communauté scientifique favorisera, environ trois ans plus tard, la naissance de l’Institut Pasteur.
Qu’en est-il de la COVID-19 ?
La plus récente expérience à ce sujet concerne la campagne de vaccination contre la COVID-19. La résurgence des récalcitrants ne se fait pas attendre quand les premières fioles du liquide salvateur anti-SARS-CoV-2 voient le jour en août 2020. Le refus est alors aussi planétaire que la pandémie et les raisons varient selon les humeurs ou les intérêts. Dans un monde où même le port du masque semblait un lourd fardeau, accepter de se faire piquer l’était encore plus. Il aura fallu des recrudescences de cas et des décès par milliers pour adoucir certains des plus récalcitrants.
Si ailleurs, dans les pays plus aisés, les discussions concernaient souvent le choix du meilleur vaccin entre les diverses marques (AstraZeneca, Moderna, Johnson & Johnson etc), en Haïti comme dans d’autres pays du tiers-monde, les autorités de santé publique n’ont pas eu autant de tracas, espérant le premier don venu. Il a d’abord été question de la conservation exigeante de ces fioles capricieuses dépendant de la température environnante. Ensuite il a fallu mettre en place une campagne de vaccination apte à sensibiliser une population dont la majeure partie se croyait même naturellement immunisée. La tâche depuis s’est avérée assez compliquée, et ce malgré l’installation d’au moins 50 centres de vaccination dans le pays, dont 17 dans le département de l’Ouest.
La population… plutôt sceptique
Une enquête que nous avons menée auprès d’un échantillon d’universitaires, de salariés et du commun des mortels de la capitale nous a permis de recueillir des griefs voulant justifier une telle réticence. Il ne s’agit pas simplement de griefs à propos de la qualité du vaccin, comme cela s’est répété à travers l’histoire et aujourd’hui encore à l’étranger. Mais il s’agit davantage de plaintes au sujet de la nécessité du vaccin en Haïti. La plupart des universitaires que nous avons interrogés dénoncent le fait que la vaccination en Haïti ne soit d’aucune nécessité, vu l’innocuité relative de la maladie dans le pays. Plusieurs estiment que l’immunisation naturelle est possible, préférable, voire même qu’elle serait déjà en marche. Selon quelques salariés, les gens qui se sont fait vacciner jusqu’à présent avaient soit une obligation liée à des projets de voyage, soit encore à des exigences des entreprises pour lesquelles ils travaillent. À noter que plusieurs entreprises de la capitale exigent en effet un test négatif régulier ou une carte de vaccination de leurs employés. Néanmoins, toutes ces allégations n’enlèvent rien à la désinvolture manifeste des universitaires autant que des salariés, ce qui les assimile au commun des mortels.
Le pays aurait des préoccupations bien plus grandes et immédiates que la vaccination contre la COVID-19 selon certains individus. Le kidnapping, fait récent, qui s’aggrave de jour en jour ; le chômage ou encore la santé seraient bien plus alarmants qu’un virus quasiment « inoffensif ». Nous nous demanderions même par ailleurs si nous n’assistons pas à un boycottage de la campagne de vaccination lorsque nous savons qu’en mai 2021, un groupe d’étudiantes infirmières à l’Université Anténor Firmin du Cap-Haïtien, se sont presque fait chasser alors qu’elles menaient une campagne de vaccination contre la diphtérie et le tétanos. Les gens de la localité croyaient qu’il s’agissait du vaccin anti-Covid. Que dire encore des témoignages de jeunes étudiants dans le Nord qui affirment être sermonnés par des gens bien moins cultivés quant à l’idée de se faire vacciner, disant que ce ne serait qu’une combine du feu président Jovenel Moïse !
En guise de conclusion
Nous devons noter que la campagne lancée par le Ministère de la Santé depuis le 16 juillet 2021, suite à la réception d’un don de 500 000 doses de vaccins des États-Unis, est appelée à se poursuivre. Selon les chiffres publiés par le même Ministère, le 10 octobre dernier, 20 354 vaccinations complètes ont été enregistrées pour une population d’au moins 11 millions d’habitants. Jusqu’à date, Haïti n’a pas encore atteint 1000 décès (649) pendant qu’une superpuissance comme les États-Unis avoisine les 600 000 morts.
La population locale aurait-elle donc raison de ne pas se hâter à la vaccination ?