Opinion

Ton utérus, ton choix

« Légaliser l’avortement, c’est accepter d’être complice pour le plus grand crime de l’humanité », cette phrase a été prononcée par un journaliste sur France 24 dont je tairai le nom, après une vive discussion sur la nouvelle loi texane. Comment vous dire ? J’ai été, d’abord, atterrée par la violence de cette phrase puis surtout par son ton et son air qui suintait l’arrogance comme s’il avait donné l’argument ultime et irréfutable sur l’avortement.

Bon, pour tous ceux qui se demandent c’est quoi cette histoire de respect du corps de la femme, droit de vie de l’enfant, loi texane, avec cet air ébahi (eh oui, toi-même) se demandant de quoi elle parle, cette fille-là. Laisse-moi te dire !

Le 1er septembre dernier, la cour suprême du pays de la nouvelle chance et de la liberté alias les Etats-Unis (ironie quand tu nous tiens) a pris la décision d’adhérer à la loi texane, signée en mai par le gouverneur Républicain Greg Abbott, interdisant l’avortement à partir du moment où le battement du cœur de l’embryon peut être enregistré, ce qui ne laisse qu’une marge de 6 semaines maximum. Cette loi très restrictive sur l’avortement, adoptée au Texas, a fait un tollé partout dans le monde, et a surtout relancé la discussion très controversée sur la question : est-ce que l’avortement doit être légal ?

Déjà, c’est quoi un avortement ?

Pour la petite leçon du jour, on peut définir l’avortement comme l’interruption de façon prématurée d’une grossesse (merci Wikipédia). Cette interruption peut se faire de deux façons. La première, c’est quand y a une expulsion spontanée, souvent appelée fausse-couche, dont la cause est très souvent inconnue. Ce qu’il faut noter, lors de ce type d’avortement, c’est que la femme ne décide pas, elle subit, car c’est toujours involontaire ! Et il y a le second type, qui lui, est appelé avortement provoqué. Dans ce cas, il peut y avoir deux causes. La première, c’est que pour des raisons thérapeutiques, où la grossesse met la vie de la femme en danger ou parce que le bébé est atteint d’anomalies affectant ses principaux organes, qui pourraient l’empêcher de vivre à la naissance. C’est ce qu’on appelle Interruption Médicale de la grossesse (IMG), ainsi, la femme se trouve obligée de mettre fin à sa grossesse le plus vite possible. On arrive à la seconde cause, où, pour des raisons non thérapeutiques, une femme décide d’interrompre sa grossesse. C’est l’IVG, Interruption Volontaire de la Grossesse (IVG). Nul besoin d’être Albert Einstein pour arriver à la conclusion que cette décision de vouloir interrompre une grossesse à la fin de laquelle l’enfant sera potentiellement viable pose problème pour certains et fasse couler beaucoup d’encre. Un jour une femme s’est dit qu’être enceinte n’est pas pour elle, maintenir à terme sa grossesse ou pas, ce choix doit lui appartenir… et on lui a objecté ce jour-là de vouloir commettre un sacrilège… on l’a traitée de criminelle.

Chez nous, en Haïti, pratiquer l’IVG serait bel et bien un sacrilège, tant sur le plan légal que moral. Bien que légalement, interrompre une grossesse de façon volontaire est implicitement reconnu et cautionné par le code pénal prochainement en vigueur et que des sanctions seront encourues si les conditions ne sont pas respectées. « Tout avortement devrait se réaliser avec le consentement de la femme, avec une structure médicale et durant les 12 premières semaines de grossesse, sous peine de cinq à sept ans d’emprisonnement et d’amendes de 50 000 gourdes à 100 000 gourdes. Il n’y a pas d’infraction lorsque la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste ou lorsque la santé physique et/ou mentale de la femme est en danger », stipule l’article 328 du nouveau code pénal. En attendant que ce code pénal soit voté et publié, légalement, l’avortement reste un crime passible d’emprisonnement à perpétuité en Haïti. Pourtant, dans la réalité, les IVG sont très fréquentes dans le pays.

Et à partir de là, j’ai commencé à me demander qui sont ces femmes qui décident malgré tout d’avoir recours à cette pratique de façon clandestine tout en sachant le risque qu’elles ont d’y rester ? Sont-elles si désespérées, Et leurs parents ? Le journaliste de France 24 a-t-il eu raison ? Y avait eu tant de questions, mais si peu de réponses. Et là, j’ai eu l’idée ! Il faut que je commence ma petite enquête car, je dois avoir des réponses mais surtout, je vous dois de vous éclairer sur cette réalité qui se produit chaque jour sous vos yeux et qu’assez souvent vous faites semblant de ne pas remarquer !

À peine l’enquête débutée, premier obstacle : le sujet est bigrement tabou ! Personne veut en parler. Suzenna, âgée de 28 ans se déclarant servante de Dieu, lorsque je lui ai posé la question « as-tu déjà eu à faire une IVG ? », je n’oublierai jamais son air consterné ni son ton dédaigneux me répondant : « gade koze, levanjil mwen ye wi ». Et ce n’était pas la seule qui m’avait envoyée paître. Était-ce ma question qui était trop frontale ? Je ne crois pas mais c’était plutôt la peur de se faire juger, car elles connaissaient toutes une cousine, une amie, l’amie d’une amie ou avaient entendu au plus grand des hasards l’histoire d’une femme qui a déjà fait une IVG. Ok, ça me va !

« J’ai une copine à la fac, elle a dû avorter dans le plus grand des secrets, elle ne l’a même pas dit à ses proches…. elle n’a pas été dans une clinique déclarée, il y avait qu’un bout de papier sur la porte pour indiquer que c’était ici… c’est le « médecin » qui a pratiqué l’acte dans une salle avec un éclairage défaillant. Elle m’a dit qu’elle a beaucoup souffert » m’a raconté Magda. Je lui ai demandé vu son air accablé pour son amie, si elle était dans pareille situation, est-ce qu’elle n’aurait pas fait le même choix, « mais t’es folle, bien sûr que oui, même si moi mes parents ne me jetteraient pas à la rue comme mon amie. Je suis à l’université… et si tu tombes enceinte sans être mariée, tu seras expulsée. Je ne suis pas prête à laisser tomber tous mes sacrifices pour être à mon niveau (deuxième année de droit) pour une grossesse ».

Lorsque la raison d’une IVG n’était pas la peur d’être expulsée de chez soi par ses parents comme l’amie de Magda, la peur de se faire renvoyer de son université comme Magda ou comme la cousine de Suzenna, dont les parents sont très conservateurs et qui ne saurait expliquer comment elle a pu tomber enceinte vu qu’elle n’est pas sensée être sexuellement active avant sa nuit de noce. Entre autres… Mais surtout, il y a la raison de ne pas vouloir d’enfant et c’est une décision tout à fait respectable et qui devrait être respectée. Tomber enceinte ne devrait pas être quelque chose de beau ni de gratifiant pour la société, mais que pour la femme qui l’est et du moment que cette dite femme décide que cela n’est pas si beau que ça pour elle, elle doit avoir le droit de faire son choix, et personne, n’ayant pas sa vie, ne puisse penser savoir mieux qu’elle ce qu’elle doit faire, et qu’aucun de ces choix ne doit lui faire passer pour une criminelle aux yeux de certains ou pour une pestiférée pour d’autres. Son utérus, son choix. Est-ce si difficile à comprendre ?

Mais malheureusement, il y a certains qui se bornent à dire que si une femme ne veut pas tomber enceinte, elle n’a qu’à utiliser des capotes ou prendre de la pilule contraceptive. J’ai qu’une réponse pour eux, il n’existe pas de capotes ou même de pilules 100% fiables. Sachant que le préservatif masculin connait un taux d’échec de 14%, les spermicides de 26%, et la pilule contraceptive de 6%. Et pratiquer l’abstinence n’est pas une solution non plus, car les femmes ne pratiquent pas le sexe que pour enfanter. Eh oui monsieur, on veut prendre du plaisir et jouir aussi !

J’imagine déjà le regard terrifié et hautain de Suzenna me disant que c’est un crime, me demandant qui on est pour décider sur le droit de vivre d’un embryon. Et bien, à toutes les Suzenna, je m’adresse à vous : un embryon n’est pas un être humain vivant. Ce qui est vivant est doué d’unité, d’identité et d’autonomie, or un embryon est maintenu en vie par l’organisme maternel. De surcroît, le cortex cérébral, ce qui nous permet de réfléchir, de ressentir, d’être conscient n’est opérationnel qu’après 25 semaines de grossesse. Alors, peut-on commettre un crime contre un non-être humain vivant ? J’en doute. Et fort!

Je suis prête à concéder que dans le meilleur des mondes l’IVG ne doit même pas exister. Aussi, dans le meilleur des mondes il n’y a pas de famille qui renie leur enfant parce qu’elle tombe enceinte en les envoyant andeyò pour cacher leur honte. Dans le meilleur des mondes, les universités ne renvoient pas les étudiantes non mariées qui tombent enceintes. Dans le meilleur des mondes il n’y a pas de problèmes avec les capotes, ni d’erreur de fiabilité avec les pilules contraceptives. Dans le meilleur des mondes un bébé n’est pas une charge, il n’y a pas de détresse morale, physique ou d’argent. Et on remarque vite que ce monde dans lequel on vit est loin d’être le meilleur.

Alors mesdames, vos corps vous appartiennent. Et par conséquent, vous devez savoir ce qui est le mieux pour vous, vous devez avoir votre mot à dire de la manière dont il doit être traité, vous devez avoir le choix. Mais le droit s’octroie au même titre que le respect, c’est à vous d’élever vos voix, de manifester votre volonté de voir changer les choses. Combien d’entre nous doivent laisser leurs vies en essayant d’avoir recours à une IVG dans de mauvaises conditions ? Combien doivent supporter une grossesse non désirée destinées à mener une vie remplie de pauvreté tant économique que mentale, juste parce qu’elles n’ont pas eu le droit de décider à continuer la grossesse ou pas ? Combien d’enfants doivent se sentir mal aimés, rejetés juste parce que leur mère avait été obligée de mener sa grossesse à terme ? Le bilan est déjà assez lourd… alors, il faut que cela cesse !

Tu dois l’exiger. Ton utérus. Ton choix. Ta liberté !

Les prénoms utilisés sont empruntés afin de cacher la vraie identité des interviewées qui ont requis l’anonymat.

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Kitty

Née pour s'exprimer, pas pour impressionner.

Un commentaire

  1. Franchement c’est du ouff. Cette société stéréotypique est un frein à l’intégration des femmes. Le défi du siècle.
    Excellent travail.

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