Roobens Isma : « le féminisme, un mouvement pour les femmes sans pour autant être contre les hommes »
D’une manière générale, on entend par féminisme un mouvement qui, dénonçant les violences et les inégalités dont sont victimes les femmes et donnant des modalités pour les transformer, prône l’égalité homme-femme sur les plans politique, social, économique et juridique. Né au cours du XVIIIème siècle dans le sillage de la Révolution Française, le mouvement féministe aura connu différentes vagues à travers les âges. Mais toutes, avec un dénominateur commun : l’émancipation de la femme et l’amélioration de la qualité de celle-ci. Haïti n’en est pas exempt de ce vaste mouvement à la portée planétaire. Au fil des années, le mouvement féministe a connu différentes étapes dans le pays. Pourtant, dans sa pratique, beaucoup y voit une bataille menée contre les hommes, grands tenants et bénéficiaires du système patriarcal. S’agit-il vraiment d’un mouvement mené contre les hommes ? Ne serait-il pas, avant tout, un humanisme ? Répondre à cette question nous exige à jeter un regard sur les caractéristiques du mouvement féministe en Haïti et le rôle que joue ce dernier fans la société. Mais avant, faisons une petite historicité du féminisme haïtien.
Selon Jasmine Laroche, les premiers mouvements du féminisme haïtien, qu’on peut diviser en trois grandes vagues, naissent à partir de 1926, au cours de l’occupation américaine. Cependant, c’est en 1934 que fut créée la première organisation féministe, la Ligue Féminine d’Action Sociale (LFAS) qui militera pour l’avancement physique, moral et intellectuel des femmes haïtiennes. Son combat se traduit entre autres par le salaire égal pour travail égal entre hommes et femmes et la reconnaissance de l’égalité civile et politique ; et permettra l’obtention des femmes des droits de se porter candidates aux élections législatives et municipales dès 1944, et en 1950, le droit de voter. La seconde vague arrive avec la chute de la dictature des Duvalier, et sera actée, d’une part, par la grande manifestation du 3 avril 1986 qui réunira plus de 30 000 femmes en faveur de la démocratie, d’autre part, la création de la SOFA (Solidarite Fanm Ayisyèn) le 22 février 1986 qui, aujourd’hui encore, lutte contre la domination, l’exclusion et l’exploitation des femmes haïtiennes. La troisième vague, survient en 1994, et conduira à la création du Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes (MCFDF).
Au travers de ces étapes successives, on peut déceler entre autres la caractéristique suivante au féminisme haïtien : c’est un mouvement anti-discriminatoire dont le but ultime est le bien être de la femme.
Dès sa genèse, le féminisme haïtien revêt du principe de la non discrimination. En effet, les premiers mouvements féministes en Haïti incitent au changement du regard porté sur la femme. Celle-ci n’est pas vue en tant que femme d’abord, mais en tant qu’être humain, et, en vertu de ce principe, a droit à l’éducation et un traitement salarial à la mesure de son travail au lieu de celle son sexe. Une pensée bien exprimée dans le combat de la LFAS dont les luttes première consistait à réclamer l’ouverture d’écoles pour les filles et l’égalité salariale (à travail égal, salaire égal).
C’est aussi un mouvement pour le bien être. En effet, le féminisme haïtien a pour raison d’être l’affranchissement de la femme de la subordination et de toute sorte de domination, quelque soit sa nature. Ce faisant, il consacre à la femme haïtienne la liberté, le droit à l’autodétermination, mais aussi l’autonomie financière. À titre d’exemple, le programme de renforcement de la ferme-école féministe Délicia Jean à St-Michel de l’Attalaye par la SOFA en 2019 a facilité l’autonomisation d’environ 1 440 femmes.
Le féminisme haïtien est avant tout un mouvement pour les femmes. Ce qu’il faut comprendre, c’est que les droits de la femme, pour ainsi dire, sont des droits de l’homme, des droits humains. Les violer constitue de fait un entorse aux efforts pour l’égalité prescrite par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme pour laquelle l’humanité a consenti tant d’efforts. On ne peut, à partir de la condition féminine d’une personne et de préceptes arbitraires, la priver de certains droits dont tout être humain devrait naturellement bénéficier. Le mouvement féministe haïtien constitue ainsi le garde-fou du respect de ces droits en s’assurant qu’ils sont respectés, en créant un atmosphère rendant les femmes moins vulnérables, et donc moins sujettes aux violences.
Ainsi, si l’on se tient à la logique de Jean Paul Sartre stipulant que l’humanisme est une « doctrine qui rend la vie humaine possible », nous pouvons conclure que le féminisme, ce un mouvement pour les femmes, sans pour être autant contre les hommes, en ce sens qu’elle vise à permettre aux femmes de vivre dans un monde où leurs conditions ne feraient pas de discriminées, des rabaissées, mais des personnes respectées, écoutées voire protégées, les assurant ainsi bien être physique, psychique et social, est bel et bien un humanisme.