
A mon ami Ydrag,
Ydrag représente un personnage imaginaire qui, envahi par le mal du pays, remue ciel et terre pour y revenir un jour et, à tout jamais, ne plus, en repartir. De temps en temps, il cherche à se renseigner ; il caresse ce rêve, celui d’un retour à sa terre natale ; il croit et espère…
J’aurais été aussi heureux d’être citoyen d’ici qu’un autre l’est d’ailleurs ; j’aurais été autant fier de mes dirigeants qu’un autre l’est des siens, autant à même de vanter la grandeur de ma patrie qu’un autre, aussi fou de mon pays qu’un autre l’est du sien. Car il a une meilleure histoire que celui qui en a le plus, et sa légende est bien plus célèbre que n’importe quelle autre et, en fin de compte, j’en aurais été épanoui et exalté. J’aurais fait tout ce que je voulais et, j’aurais été comblé en le faisant. Et quand on est comblé, qu’a-t-on à désirer ? Mais dommage cher ami, autre est notre réalité, vu que je ne suis pas le seul à qui la conjoncture nuit et l’esprit et le corps.
Ô ami Ydrag, rien ne va ! Voilà la meilleure formule qu’il plaît à mon adresse d’épouser, non sans peine, en guise d’introduction. Eh bien mon cher, la vie ici n’est plus telle que tu la connaissais, jadis. Mais qu’Haïti soit maintenant moins que ce qu’elle était ou qu’elle soit bien plus ; l’essentiel, n’est-ce pas, est qu’elle demeure encore. Je te mentirais si je te disais que les natifs de ce pays ne sont plus appelés Haïtiens. Mais, je ne crains pas de le dire, le titre sied véritablement mal à mes concitoyens.
Très cher Ydrag, les nouvelles que j’ai à te donner sont que tu as actuellement un pays, de toute évidence et sans exagération aucune, qui est en même temps la honte, la pitié, le dégoût et, que sais-je, le fiel même de la race. Ses ressources galvaudées par l’esprit mercantile de ses héritiers, son passé désapprouvé par l’insalubrité de son présent, Haïti fait aujourd’hui l’objet de déceptions sans précédent. Elle dont les fils ont mal précipité la destinée.
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Et c’est une gêne cruelle de le comprendre malgré moi. Car si son histoire entend être l’illustration sans équivoque des dimensions de l’Homme en général et de l’homme noir en particulier, le temps a dénaturé ses œuvres. C’est cette même partie de l’île anciennement appréciée comme la perle des Antilles qui expire à l’heure qu’il est. Quel désagrément ! Le plus grand ennui est que toutes les bonnes choses sont conjuguées au passé dans ce pays.
De même que cette terre a été autrefois la demeure des délices de la vie, elle devient à présent le moulin à martyre le plus perfectionné. C’est le temple où la malveillance a son autel, où résident à la fois la fureur, la violence et l’ensemble des tares qui puissent parer un pays de mal et d’horreur.
Secoués à n’en plus finir par le démon du chaos, ses fils continuent d’ériger l’édifice de leur propre sort tel que cela se présente fidèlement à eux tous les jours. Comme dit la chanson : « on s’ fait du mal ».
Ami Ydrag, nonobstant le mauvais vent qui souffle de temps à autre sur nos 27 750 km2, le sens de l’humour que tu me connaissais n’est point parti. Et il voudra bien me servir à te faire une petite idée de ce qui se passe ici. Sais-tu ami, qu’en certaines périodes, je peux, à mon aise, traverser la route nationale les yeux bandés à défaut d’en faire un terrain de jeu ?Comme tu sais certainement que le repos, c’est vital ! Ce n’est pourtant pas possible là où nous sommes. Au milieu de tant de périls, se reposer serait fort risquer. Comment ? C’est bien simple : le temps qu’on dispose lorsqu’on ne travaille pas, on l’emploie pour veiller à la sécurité de nos vies et de nos biens. Jusqu’à la lie ! Et au final, on ne se tient jamais en repos. Pour ce qui est de loisirs, n’en parlons même pas. Le calme d’esprit, la tranquillité, la sérénité, nous avons tout perdu. Bref, toutes les choses concourent aujourd’hui à éclipser la moindre viabilité qu’il reste à ce pays et jettent au monde, jadis enchanté de la gloire de ce dernier, l’idée que ses enfants seraient indignes des grâces de leurs aïeux. A la fin, nous avons honte, nous sommes paniqués : honte du passé et paniqués par le présent. A quoi nous attendre à l’avenir ?
Le bon vieux temps… J’en veux aux grands-parents qui, malgré la preuve de la réalité, refusent de convenir que leur époque, qu’ils devraient considérer comme l’âge d’or, était bien meilleure que celle-ci. Disons que les heureux et beaux jours qu’il leur plairait d’attendre d’Haïti sont déjà passés et ont été idéalement vécus, sans qu’ils s’en rendent compte, par eux. La belle et fière Haïti était leur et illusoire était et est (jusqu’à preuve du contraire) l’idée que les choses s’amélioreraient. En outre, si l’on en croit le témoignage du présent, le meilleur de ce pays est justement derrière lui.
Ah ma génération…Ô temps, ô mœurs !
J’admets, certes que cette jeunesse dont je fais d’ailleurs partie est quotidiennement et fort malheureusement en panne de décence, d’honneur, de prestige ; et que sa débauche est sans décrue; enfin tout ce qu’il te plairait de lui reprocher. Mais ami, ce n’est pas tout à fait juste de la tenir pour totalement coupable de son infortune. Elle ne fait que suivre !
Aujourd’hui, son mal de repères vient du fait que, pour bonnes règles, on lui a plutôt montré et assez trop d’ailleurs, l’exception en lieu et place de l’exemple, alors qu’il y en a bel et bien. C’est ainsi qu’on a entrainé sa dérive. Et à force d’avoir plébiscité à son attention les mauvaises mœurs, elle a fini bon gré mal gré par s’en retrouver vêtue. Toute la clé du mystère est donc là ; et voilà, ami Ydrag, la philosophie de son comportement aujourd’hui. Ainsi, pour réparer sa conduite avant que cela n’empire, faudrait-il bien repenser ce qu’on lui rend plus accessible. C’est le meilleur remède qu’on puisse administrer à son mal. Et tu sais, cher ami, la véritable faute n’est pas à elle de croupir dans le vice, mais à ceux-là qui ne savent pas lui offrir autre chose (la vertu). Comme on a coutume de dire que mal sied l’armée sans son général, je crois que pire encore arrive à une nation sans l’espoir et l’assurance de sa jeunesse. Je le répète ami : le plus accessible est à repenser.
Très cher Ydrag, je ne doute une seconde que tu sois, toi aussi, navré au plus profond de ta personne par l’inclémence de la vie dans ton pays natal. Ô ! Que les aléas sont de trop ! C’est peut-être loin de tes yeux, mais je suis certain que c’est près de ton cœur ; n’en déplaise au vieil adage. S’il y a un fait dont je suis persuadé, c’est que tu aimes ton pays de tout ton être et que rien ne pourra t’empêcher de le chérir excessivement, comme cela a toujours été le cas. Et encore, une chose est plus près de la vérité : un temps viendra pour que tu retournes dans les bras de ta patrie bien-aimée ; ce sera, entre autres, le moment pour toi de te réconcilier avec ta vraie nature, de renouer le fil d’affection à l’égard de ta famille, tes amis… Enfin, tu vivras ta vie comme tu l’entends. Tout se passera ici, en douce terre natale d’Haïti. Tu seras heureux, je le serai aussi. Le jour recommencera et la vie ne finira point !
Tout compte fait, je crois t’avoir assez longtemps entretenu très cher Ydrag. Au risque de perdre ton attention, je me soustrais à l’intention d’être plus verbeux ami. Car je pourrais être tout aussi lassant qu’insuffisant. J’ai toujours tâché de me rendre intelligible à tout le monde comme à toi ; et particulièrement pour ce propos, j’espère qu’il sera pris en compte par les grands esprits et pourquoi pas par tous ceux qui l’auront sous leurs yeux. Puisse ce geste édifier ma velléité d’agir à la bonne marche des choses. Quant à toi, ami Ydrag, je salue ta grande âme. À bientôt !
Novembre 2021
#Deep!!!
Très beau texte!
Mais l’unique chose que je puisse notifier à votre Cher Idrag et vous est que la croyance n’est pas certaine.
Tant pour ne pas affirmer qu’un miracle affranchira Haïti un jour hormis de ta collaboration et la mienne.