Dans une société où tout s’effrite, il est un impératif aux agents d’influence, ceux dont la parole peut faire la différence d’élever la voix, d’apporter une contribution positive, de tenter de changer la donne par leur discours. Oui, ils en seraient capables, du moins en partie. Mais, quand au contraire leur silence s’avère être d’une vile éloquence, ou encore leur discours orienté à contre-courant des intérêts du peuple, on ne peut oser leur prétendre une certaine innocence, du fait d’un statut de « simples citoyens ».

Les gens qui soutiennent ce discours n’auraient fait qu’une analyse quelque peu simpliste de la chose, car ce chanteur dont la musique a permis de se propulser au centre de la sphère sociale, ce jeune sportif qui a acquis de la notoriété grâce à son talent, cette belle jeune femme qui s’est construit un Olympe sur les réseaux sociaux ne sont pas des quidams. Certes, il faut accorder qu’ils n’ont pas été élus par le peuple, n’ont pas été investis solennellement d’un quelconque pouvoir politique. Mais, est-ce pour cette raison qu’ils n’ont aucun devoir (politique) envers la communauté ? Il faut croire que non.

Aujourd’hui, grâce à la suprématie des TICs, il existerait une quête gourmande de pouvoirs d’influence. Tout le monde, sauf les introvertis peut-être, cherche à élargir son audience, à donner plus de portée à son discours. Cependant, les artistes (chanteurs, rappeurs, ceux qui font de la « comédie »…), les sportifs, etc. sont ceux qui arrivent le plus rapidement à asseoir cette influence, du fait de leur appréciation par les jeunes pour lesquels ils exercent une fonction de divertissement.

Toutefois, leur obligation ne saurait se parer que du seul costume de clown pour les « comédiens » ; leur voix ne saurait jouer que le seul rôle d’organe d’apaisement sentimental ; leurs punchlines que pour épater la galerie ; leur regard qu’orienté vers leur domaine d’activité, sportive ou peu importe. Avant tout, du fait de leur influence, de leur capacité à mobiliser leurs communautés, ils ont un devoir d’engagement. Ceci s’avère d’autant plus important voire indispensable en raison de ce contexte de déliquescence dans lequel évolue la société haïtienne.

Par ailleurs, ce serait peu perspicace, maladroit voire naïf que de supposer aux personnalités publiques du monde musical, sportif, etc. ces « leaders d’opinion » une quelconque innocence en regard de ce qui se passe aujourd’hui dans le pays. C’est quelque part sous-estimer leur pouvoir d’influence. En effet, ils seraient en partie responsables, car ils auraient pu offrir leur voix, autant que faire se peut, comme arme de combat. Ils auraient pu, s’ils en avaient eu le courage, changer les discours, offrir de nouvelles perspectives.

A fortiori, ceci est encore plus grave et malhonnête lorsque la passivité de ces artistes, leur prétendue neutralité, leur statut de « simples citoyens » suggère un relent de partisanisme orienté vers ceux que le peuple a en aversion, ceux qu’il considère comme responsables de sa situation de misère ; tout cela, au nom d’une qualité de personnalités apolitiques.

Néanmoins, ce texte n’est pas fait dans l’objectif de suggérer un regard holistique du monde musical haïtien, ou encore du monde des personnalités connues. Il ne faut pas croire que tous sont atteints de ce fléau d’indifférence intéressée. Il y en a d’autres qui au contraire font de leur voix, de leur talent, de l’aura que leur offre leur talent ou leur position un outil d’engagement, un outil pour changer les choses… le cas de BIC, KEB, D-Fi etc.

À tous ces artistes, ces personnalités publiques, ceux-là ayant une large audience sur les réseaux sociaux, qui refusent de se mettre aux côtés du peuple, qui refusent d’élever leur voix en faveur des intérêts du peuple… qu’ils sachent que c’est l’indifférence de ceux qui se taisent bien plus que la frénésie des méchants qui nourrit l’injustice dans le monde.