Ce que le vaudou doit à l’église catholique
Les mêmes représentations iconiques pour les saints catholiques que pour les loas vaudou ; une participation rituelle des fidèles catholiques comme des adeptes du vaudou aux fêtes champêtres ; « qui dit La Vierge dit Erzulie »… Une certaine connivence apparente semble unir les deux religions. Qu’en est-il vraiment ?
Deux tendances s’affrontent autour du sujet. Les uns – ceux qui partagent une vision exclusivement protestante du christianisme – tentent d’expliquer, empiriquement, cette prétendue complicité dissimulée dans le fait que, selon eux, le catholicisme, par son universalité supposée et son caractère ésotérique réel, est de même nature que le vaudou. Pour eux, parler du catholique ou du vodouisant, revient du pareil au même. Les autres, conscients du syncrétisme religieux, héritage d’une diversité culturelle et historique, y voient plutôt un agrégat de survivances de la colonisation qui ont influencé les rites vaudou et favorisé un mimétisme chrétien (majoritairement catholique) dans le culte du vaudou.
Le vaudou est incontournable, si l’on veut parler de culture haïtienne. En effet, dans le langage courant, culture et vaudou sont quasiment indissociables. Pour certains auteurs, ce dernier ne remplit qu’une fonction thérapeutique et n’a rien d’une religion à part entière. Pour d’autres, comme c’est le cas de Jean Price-Mars, au contraire, il est bel et bien une religion. Celui-ci identifie trois raisons qui le prouvent : Le vaudou, selon Jean Price-Mars, est une religion, tout d’abord, parce que tous les adeptes croient à l’existence des êtres spirituels qui vivent quelque part dans l’univers en étroite intimité avec les humains ; ensuite, parce que le culte dévolu à ces êtres spirituels exige un rite organisé et bien spécifique ; enfin, il est une religion en ce qu’on peut y démêler une théologie, un système de représentation grâce auquel, primitivement, nos ancêtres africains s’expliquaient les phénomènes naturels (Price-Mars, 1928).
Héritage de l’Afrique, plus précisément de l’ancien Dahomey et présent dans plusieurs pays de l’Amérique et des Caraïbes, le vaudou (Vodoun ou Voodoo), qui consiste en des pratiques animistes relevant d’une certaine maîtrise des éléments de la nature par les initiés, trouve son identité la plus complète en Haïti, qui en représente aujourd’hui le principal bastion. Malgré cette place de haut lieu qu’occupe le pays au niveau mondial, le vaudou semble s’y heurter aux croyances judéo-chrétiennes, profondément ancrées dans l’habitus des individus. De ce fait, pour plus d’un, le vaudou haïtien tire son mode de fonctionnement de ces croyances. Pour comprendre ces ressemblances, un recul dans l’histoire s’avère important.
Le territoire haïtien colonisé à plusieurs reprises par des puissances européennes, a été le théâtre de plus de trois siècles d’esclavage, qui ne sont pas restés sans effet. La seconde (française), l’a beaucoup plus marqué et y a laissé des séquelles qui demeurent, aujourd’hui encore, patentes. Le commerce triangulaire (outil d’approvisionnement en main d’oeuvre) (XVIe-XIXe siècle) a favorisé l’arrivée des noirs africains (nos ancêtres) à Saint-Domingue pour compenser à l’extermination des indiens. Ces noirs, venus de diverses régions de l’Afrique, vont, non sans peine, sauvegarder leurs originalités malgré toute la pléiade de défis qui s’imposaient. Parmi eux : le code noir.
Instauré par Ordonnance Royale en 1685, le code noir, recèle un ensemble de règles relatives au traitement de l’esclave, qui était considéré comme bien meuble du maître. Il faut signaler que ce document était fortement d’inspiration catholique. D’ailleurs, il a été rédigé « afin de maintenir la discipline de l’église catholique apostolique et romaine dans les colonies françaises ». En effet, les neuf premiers articles ont rapport à l’exclusivité de la religion catholique dans la colonie et l’obligation au maître de soumettre ses esclaves aux différents rites relatifs à ladite religion. Donc, l’esclave, soumis à toutes ces pratiques contraires à sa culture propre, a été malgré lui imprégné de la culture judéo-chrétienne. D’où l’aliénation totale et ce sentiment de résignation qui est encore présent chez certains religieux chrétiens. C’était en effet l’un des principaux objectifs du code.
Toutefois, les esclaves ne se sont pas totalement laissé faire. Unis par les liens de l’Afrique, ils se sont révoltés et ont arraché leur liberté, conduits par les esprits vaudou. Il faut considérer que le vaudou a joué un rôle prépondérant dans la révolution de 1803. La cérémonie du Bois-Caïman est considérée comme élément déclencheur des dernières luttes conduisant à l’indépendance d’Haïti. Cependant, la religion catholique a survécu à l’indépendance et conservé sa prédominance sur le vaudou. Ce rejet du vaudou malgré l’indépendance, pour le docteur Price-Mars s’explique par l’efficience de la morale chrétienne qui a toujours prédominé au sein de la société haïtienne. Le vaudou devient impropre et donc tabou.
De plus, le concordat entre le pape Pie X et le président Geffrard en 1860 a renforcé cette prédominance catholique au détriment du vaudou, condamné à mourir pour faire place à une civilisation à l’européenne. Les deux campagnes anti-superstitieuses de 1898 et de 1942, organisées dans le but de changer les mœurs et provoquer un divorce entre Haïti et ses liens avec l’Afrique ont été des manifestations de ce pacte avec le saint Siège. Ces campagnes ont provoqué un tournant dans la vie politique et sociale du pays et ont conduit au mouvement des étudiants en 1946, selon Micial M. Nérestant, dans Religions et politique en Haïti. En effet, un groupe d’intellectuels haïtiens [ont engagé] une polémique avec les autorités ecclésiastiques à propos de la campagne anti-superstitieuse que le président Lescot déclencha contre le vaudou (Nérestant, 2005). Il faut également souligner l’apport du vaudou dans les différentes luttes menées contre l’occupation américaine (1915-1934). Comme toujours, dans les moments les plus difficiles, c’est dans le vaudou que les paysans puisent la force nécessaire pour opposer une résistance (Nérestant, 2005).
Comme nous venons de le montrer, les relations catholique/vaudou ont toujours fait l’objet de discordes à bien des égards. Néanmoins, une certaine liaison suspecte persiste dans la pratique de ces deux religions en Haïti. Le partage d’un même calendrier liturgique par exemple.
Les similitudes rencontrées dans les rites catholiques et vaudou peuvent prêter à équivoque. Il faut, pour cerner ce phénomène de projection, se dégarnir de toute idée construite sur une base affective, reçue d’une autre profession de foi rivale quelconque.
Fête des morts et Guédé
Nous avons considéré ces deux célébrations, parce que, si elles se diffèrent en quelque chose, c’est dans quelques rituels et le lieu de cérémonie. Le jour des morts, 2 novembre, représente dans la religion catholique un culte envers les défunts. Sa couleur liturgique est le violet. De l’autre côté, le premier novembre, la veille, c’est la fête des Guédés (rite rada) représentés par Baron Samedi, dieu des morts dans le vaudou haïtien. C’est, par conséquent, le jour des morts dans la religion vaudou, où les adeptes se réunissent pour célébrer dans les cimetières. Lesquelles célébrations attirent autant les initiés que de simples individus. La couleur y est également le violet. Il va sans dire que le jour de célébration est différent. En aucun cas cette légère dichotomie ne saurait altérer la comparaison, vu que la Toussaint (jour de tous les saints (des morts)) dans la religion catholique est célébrée le premier novembre, le jour des Guédés. Outre cet exemple, on pourrait souligner également l’épiphanie et les Rois, l’assomption et la fête dédiée à Erzulie, etc. Ces éléments de ressemblance sont, sans conteste, proviennent de la cohabitation des deux religions pendant plus de trois siècles sur le sol haïtien, et donc résultant de cette influence imperceptible du catholicisme sur le vaudou.
Des loas blancs pour une religion de nègres
Vous vous êtes sûrement déjà posé la question : pourquoi les loas vaudou sont représentés par des hommes et des femmes blancs ? Nous ne prétendons pas avoir une réponse exacte à la question dans toute sa largeur, mais tout ce que nous pouvons dire, c’est que la colonisation en est pour beaucoup. L’illustration d’une divinité vaudou par l’image d’un saint catholique devrait avoir pour cause la dominance catholique dans la colonie de Saint-Domingue. En effet, des images de toutes sortes à l’effigie des saints ont été distribuées dans toute la colonie dans le but d’y établir l’exclusivité religieuse et d’initier l’esclave à la religion du maître. Ce retour aux symboles de l’oppresseur peut s’expliquer par un souci de représentation physique, de symbolisation, des esprits cultuels du vaudou. Ainsi, il existe toute une iconographie vaudou identique aux représentations des saints dans la religion catholique.
Lundi gras, mardi gras, mercredi des cendres… Carnaval
Oui, le carnaval est une célébration chrétienne et n’a donc rien à voir avec le vaudou ! Dans la religion chrétienne, plus précisément dans la tradition catholique, le carnaval représente la période (avant-carême) allant de l’épiphanie (6 janvier) au mardi gras, où les catholiques pratiquants profitent pour se nourrir de chair ad libitum, en prélude du temps de carême, durant lequel ils ne pourront plus en consommer. Par ailleurs, les trois jours de festivités, appelés carême-prenant, qui coïncident à la période carnavalesque dans la culture haïtienne, n’appartiennent pas au calendrier vaudou, ils ne sont pas non plus organisés par l’église. Le carnaval haïtien résulte en effet d’un mélange vaudou-chrétien qui n’est ni totalement vaudou, ni totalement chrétien (considérant que toutes les manifestations de la culture haïtienne sont de près ou de loin liées au vaudou), preuve de la complexité du syncrétisme dans lequel baignent les deux religions. Néanmoins, l’on constate que la charge du carnaval (carême-prenant) semble être relégué par l’église catholique vers une communauté mondaine assimilée au vaudou. Ce type de rejets est fréquent en Haïti et semble provenir du refus par le catholicisme de se voir le miroir d’une religion jugée impropre. Il voit dans le vaudou haïtien son reflet pollué par des pratiques pour le moins malsaines voire « diaboliques ». Le catholique digère mal le syncrétisme car il représente une faiblesse dans sa polémique avec le protestant.
Contrairement à ce qu’un groupe de gens veut faire croire, le vaudou n’entretient aucun rapport de filiation avec le catholicisme. Il n’en est pas non plus une copie biaisée. Néanmoins, le syncrétisme catholique/vaudou en Haïti ne saurait résulter exclusivement d’un cheminement historique. D’ailleurs, cet article ne prétend pas être une analyse complète du phénomène. Mais, l’analyse historique ou plutôt celle basée sur une approche colonialiste demeure la plus courante pour expliquer ce syncrétisme religieux et est adoptée par plusieurs d’anthropologues et spécialistes du vaudou.