Société

Haïti et les référendums : une histoire compliquée

Le président Jovenel Moïse a nommé vendredi par décret les neuf membres du conseil électoral provisoire, qui devra, entre autres charges, « organiser un référendum constitutionnel afin de doter le pays d’une nouvelle constitution » a t-on lu dans le journal officiel Le Moniteur.

À ce carrefour où l’incertitude se pointe à l’horizon politique, où la classe politico-médiatique n’inspire confiance à personne, où l’opposition se montre des plus intransigeantes quant aux pourparlers avec le pouvoir, la tâche s’annonce tout à fait compliquée. De plus, l’histoire le prouve, nous n’avions jamais entretenu de bons rapports avec les référendums.

La question d’une nouvelle constitution est souvent évoquée dans les médias, les colloques ou autres milieux de réflexions. Il faut noter qu’un référendum est un procédé à travers lequel une autorité politique consulte le peuple sur un sujet précis auquel il devra répondre par « oui » ou « non » au moyen des urnes. Et le gouvernement compte utiliser ce moyen afin de savoir si le peuple est pour ou contre un éventuel changement de constitution.

Au cours de l’histoire, le peuple Haïtien a développé un rapport plus ou moins compliqué avec les référendums. Il a été souvent l’instrument de satisfaction des egos des Chefs d’Etat. On se souvient du référendum de 1961 organisé par François Duvalier pour prolonger son mandat de six ans alors qu’il devait quitter le pouvoir en 1963. Cela ne lui suffisait guère.

En 1964, il organise un autre qui le proclame à une grande majorité Président à vie. Pour couronner le tout, il en organise un troisième en 1971 et fait de son fils son successeur. Cependant, celui de 1987 a le mérite d’être le seul qui a traduit la volonté d’un peuple fraîchement échappé aux griffes d’un dictateur. Il y croyait mais jusqu’à ce que certains observeront plus tard qu’il n’est pas très efficace pour rélever les défis du moment.

C’est pourquoi pour certains, il est impératif d’avoir une une nouvelle constitution pour rééquilibrer le rapport de force entre l’exécutif et le législatif, pour favoriser un climat politique plus serein en faisant croire que la nouvelle constitution permettra naturellement de changer la condition de vie en Haïti. Nous avons plus un problème d’hommes honnêtes et crédibles que de système politique.

D’ailleurs, le président ne peut pas comme bon lui semble un beau jour décider de changer la constitution. D’abord, la constitution de 1987 amendée encore en vigueur est claire : « Toute consultation populaire tendant à modifier la constitution par voie de référendum est formellement interdite. » Le président Moïse qui a prêté serment sur cette constitution ne peut ni la changer, ni la réformer.

Ensuite, il va sans dire que le président n’a plus la confiance du peuple Haïtien. Dans un climat aussi tendu, la réalisation d’un référendum exige une confiance non seulement envers les acteurs mais aussi envers le projet qu’ils portent. D’autant plus, l’ambiguïté s’installe. Personne ne sait les véritables intentions du Président. Ce référendum ne serait-il pas un appel indirect à le réélire en 2022 ? Si cette constitution vient à autoriser deux mandats successifs, la tension risque de monter dans les jours à venir.

Le Général De Gaulle, qui a fondé la cinquième République française, a pendant longtemps nourri l’idée d’organiser un référendum sur l’élection au suffrage universel direct du Président de la République. Une idée qui était difficile à être acceptée par la classe politique de l’époque. Il a failli ne pas y arriver si le 22 août 1962, on a pas tenté de l’assassiner. « Cet attentat tombe à pic » disait-il. Il a profité de cet attentat qui visait la vie du Grand Général De Gaulle et qui suscitait beaucoup d’émotions chez les Français pour organiser ce référendum. La mort du bâtonnier Monferrier Dorval qui était favorable à nouvelle constitution est peut-être tombée à pic pour M. Moïse. On a vu l’émotion du peuple Haïtien devant la nouvelle de l’assassinat de Maître Dorval. Ses positions sur la constitution ont été très relayées sur la toile surtout après son assassinat. Quelques-uns y voient même la cause de son assassinat. Il est fort probable que la mort du bâtonnier ait fait basculer certains dans le camp de ceux qui réclament une nouvelle constitution. Peut-être, diront-ils, qu’ils ne souhaitent pas qu’il se réalise à un moment si critique pour notre pays ou pire encore sous l’ auspice de Jovenel Moïse, qui depuis après la dissolution du Parlement dirige en solo, par décrets.

À quelque chose, malheur est bon dit-on. Ce meutre n’a peut-être pas été commis sous la direction du gouvernement en place comme certains le proclament, mais force est de reconnaître qu’il lui sera en ce sens bien utile.

Prévisible, ce mot, semble t-il, n’est pas Haïtien. Des manifestations soudaines à 5 heures de l’après-midi à l’insécurité qui frappe toutes les couches sociales, il est clair qu’Haïti est devenu un pays imprévisible. Par conséquent, on ne sait pas ce que nous réserve ce décret publié dans Le Moniteur le vendredi 18 septembre 2020.

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Mike Creedlyn Eugène

Étudiant à la Faculté des Sciences Humaines (UEH).
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