Le cas inquiétant des enfants « restavèk » en Haïti
En Haïti, comme dans la plupart des pays sous-développés, les questions liées à la protection des droit de l’homme et au respect de la dignité humaine sont souvent négligées. En effet, le droit des femmes, handicapés, vieillards et surtout les enfants y sont souvent violés en raison d’absence de politiques publiques à même de leur garantir une situation paisible et adéquate. La dernière catégorie, en l’occurrence les enfants, est très vulnérable notamment les enfants « restavèk ».
La société haïtienne, de par ses inégalités socio-économiques, a engendré depuis le début du XXe siècle un phénomène d’enfants attachés à des travaux domestiques, le plus souvent exécutés sous pression physique.
Couramment appelé « restavèk » en créole, le phénomène des enfants en domesticité est la situation d’un enfant dont les parents sont précaires et, de ce fait, sont obligés de le placer dans une famille en milieu urbain qui devra s’occuper de lui en échange de travaux domestiques. Ces enfants traités souvent de manière brutale, selon certains, méritent leur sort car les familles qui les recueillent soulagent leurs parents. Mais tout philanthrope peut affimer que c’est une abomination que le mode de vie que subissent ces enfants-là. Les enfants placés en domesticité, sont-ils vraiment traités comme le devrait être un enfant ?
À l’origine, cette activité aurait été conçue pour aider les enfants de familles très pauvres. Des parents qui font face à la misère, et vivant généralement à la campagne décident de confier leur fils ou fille à une connaissance de la ville ou à des parents éloignés plus aptes à leur offrir un avenir meilleur en les scolarisant, les logeant en échange de quelques services.
Assez souvent, ce qui devrait être un simple échange de ressources, dans le respect de l’intégrité de l’autre, tourne au cauchemar pour beaucoup de ces enfants « placés en domesticité », qui se voient être maltraités, violentés, abusés sexuellement, et parfois ne jouissent même pas de la scolarité qui leur était promise. En somme , ils se trouvent privés de tous leurs droits.
Malgré le fait que ce phénomène dure depuis un certain temps relativement long et de surcroît malgré son envergure plutôt considérable, l’Etat semble ne pas vouloir éradiquer ce problème. La décentralisation s’avère être un moyen efficace qui pourrait aider à palier le problème, en distribuant les agents et les compétences dans les milieux ruraux ; plus d’écoles, plus d’universités ; et pourquoi pas relancer l’agriculture de façon moderne afin de doter ces milieux d’une certaine autonomie et cesser cette politique où tout reste consentrée dans la République de Port-au-Prince. Comme ça les parents dans les provinces n’auront pas à envoyer leurs enfants dans la gueule du loup. Mais malheureusement, on peut toujours rêver.
Au regard de la loi
Selon les directives de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (20 novembre 1989), l’enfant est un véritable sujet ou détenteur actif et légitime de droits, habilité à en exiger la réalisation. C’est-à-dire que l’enfant, lui aussi, a des droits qui lui sont inaliénables. D’ailleurs, en cas d’atteinte à ces droits, la justice dispose de lois et est à même de sanctionner l’individu ayant commis le forfait, car l’enfant ne devrait subir de méfaits sous quelque forme aucune.
De plus, Haïti a ratifié sans réserve aucune la convention relative aux droits de l’enfant qui prévoit l’interdiction de l’exploitation économique, de tout travail dangereux susceptible de nuire à l’éducation et au développement de l’enfant et le droit d’être protégé contre tout abus sexuel et contre la traite (Article 32, 34, 35).
Les chiffres
Selon l’Unicef, il y aurait aujourd’hui encore 300 000 enfants « restavèk » dans le pays. Par ailleurs, le Département d’État américain avait estimé en 2013 qu’entre 150 000 et 500 000 enfants étaient en servitude domestique. Ce qui représente la majeure partie de la traite des êtres humains en Haïti.
Un leurre
Plus d’un, lorsqu’ils placent des enfants en situation de domesticité, prétend qu’il rend service aux parents de ces enfants et à la communauté, en leur offrant un toit, de la nourriture et parfois une scolarité déguisée, qu’ils ne trouvaient pas chez leurs parents. Selon leurs discours, ils les épargnent de la délinquance de la rue en les recueillant chez eux et qu’ils doivent en ce sens le mériter. Donc travailler jour et nuit, continuellement, serait la monnaie de change de cette aubaine.
Les enfants placés en domesticité ne jouissent en effet presque d’aucun droit et sont parfois réduits à de simples biens meubles exécutant de rudes besognes à longueur de journée, parfois trop onéreux pour leurs corps. Beaucoup sont ceux qui de leur propre initiative ou par l’aide d’un tiers qui entreprennent à s’échapper de l’enfer. En aucun cas, le phénomène des enfants en domesticité ne pourrait être obligatoirement lié au fait de placer un enfant dans une famille n’ayant aucun lien de parenté avec ce dernier. La raison doit être recherchée ailleurs, car il y a des gens qui sans exigence religieuse ou morale arrivent à faire la différence en offrant un bon accueil à l’enfant placé sous leur responsabilité.
Par ailleurs, nous ne pouvons négliger le cas des orphelins, qui nécessairement exigent une famille d’accueil, sinon ils seront livrés à eux-mêmes, vu la passivité de l’État. Et d’ailleurs, même dépourvus de père et de mère, ces enfants restent et demeurent « enfants ». Le fait d’aider un enfant en situation précaire ou laissé-pour-compte ne sous-entend pas que vous soyiez pour autant être maîtres de ses droits. Il doit jouir de tous les droits que les instances responsables ont prédisposé à l’enfant.
Cette pratique, qui prévaut le rejet des valeurs liées au plein épanouissement des enfants, engendre plus de problème qu’il n’en résout. Car, un enfant qui n’a jamais pris goût à la vie n’en connaîtra jamais la valeur et est sujet à devenir violent lui aussi. L’enfant domestique ayant guère reçu peu ou presque pas d’éducation, devenu adulte, s’ajoute presque obligatoirement à la masse pauvre et hérite le plus souvent de la précarité de ses parents. Donc, le phénomène des enfants en domesticité est un danger crucial qu’il faut absolument dissoudre de la société haïtienne.
Quel est le rôle de l’État face à ce problème ?
Toute autorité responsable et soucieuse d’une société égalitaire du moins, tout gouvernement qui souhaite une situation un tant soit peu vivable pour ses citoyens élabore des politiques publiques viables, c’est-à-dire des outils et des moyens mis en œuvre […] pour atteindre des objectifs dans un domaine particulier de la société (Braud, 1982). Ces outils (actions) prennent le nom de politiques publiques redistributives lorsqu’ils concernent des groupes faisant face à une contrainte directe d’ordre social ou économique. Dans ce cas l’État exige la participation d’un groupe spécifique auquel il assigne des obligations (prélèvement de taxes) dans l’objectif de l’éradication du problème. On parle alors de l’État providence.
Si l’on tentait de répondre aux questions énoncées par Philippe Braud dans son livre la science politique, concernant l’analyse des actions politiques (Qui participe à leur adoption? Qui exerce le contrôle de légalité et d’opportunité?) on serait vite en mesure de voir que l’émancipation, la « libération » des enfants en domesticité n’a jamais été dans le plan de nos dirigeants.
L’enfant est appelé à jouer un rôle important dans l’avenir d’un pays. Ainsi, maudire un enfant serait maudire l’avenir du pays.
On connait tous un jeune adolescent parfois non scolarisé, souvent originaire des provinces, toujours mal vêtu, se levant de très tôt, se couchant à des heures tardives, responsable de presque toutes les taches possibles et imaginables, placé par ses parents dans une famille d’accueil pas si conviviale que ça, en quête d’un mieux-être, délaissé par l’Etat, abusé par ceux qui étaient supposés l’aider ; on connaît tous un enfant restavèk.
Le masculin est utilisé uniquement dans le but d’alléger le texte. Ce phénomène concerne les filles autant que les garçons.
Rédigé en collaboration avec Mike Préval