Société

Le drapeau haïtien : vérités et non-dits

L’histoire retient le 18 mai comme la date de création du drapeau haïtien dont les couleurs officielles sont le bleu et rouge. Cependant, plusieurs théories divergent sur la date et même sur les vraies couleurs lors de la création.

Une étoffe aux couleurs variées attachée à un mât ou une hampe, déployée de manière qu’elle puisse flotter dans l’air. L’origine du drapeau remonte à la préhistoire. Les chefs des tribus portaient de longs bâtons avec des emblèmes variés qui servaient de point de ralliement. En 1500 avant Jésus-Christ, la soie est apparue en Chine et cet évènement va faciliter la créativité et les chefs de tribus pourront porter des emblèmes aux couleurs multiples. Cependant, c’est au dix-huitième siècle que les drapeaux nationaux apparaîtront, le prinsenvlag hollandais étant le premier drapeau moderne.

Aujourd’hui, les drapeaux nationaux représentent un pays dans un autre pays ami, ils sont le symbole d’une nation à aimer et à défendre en temps de paix et un point de ralliement en temps de guerre.

Les vexillologues insistent sur le fait que tous les drapeaux recèlent un sens peut-être inconnu du public et le choix des couleurs de chacun d’entre eux ne relève en aucun cas du hasard. En ce sens, depuis plus de deux siècles, le drapeau haïtien est pris dans un tourbillon de doute, d’incertitude autour de sa création et de ses couleurs. Il a, du coup, subi une longue odyssée motivée par des intérêts idéologiques et claniques.

Catherine-Flon, filleule de Dessalines, a cousu un drapeau à l’Arcahaie. Les noirs et les mulâtres en ont profité pour s’unir et affronter l’ennemi commun.

L’histoire est connue de tous : Catherine-Flon, filleule de Dessalines, a cousu un drapeau à l’Arcahaie. Les noirs et les mulâtres en ont profité pour s’unir et affronter l’ennemi commun. L’autorité de Dessalines est reconnue comme Commandant en chef de l’armée indigène. C’est une thèse soutenue par Joseph Saint-Rémy mais rejetée par Thomas Madiou et Beaubrun Ardouin.

Selon les contestataires, le drapeau aurait été créé en février 1803 à la Petite-rivière de l’Artibonite : Pétion était dans le Cul-de-sac lorsque survînt une bataille avec les Français. La troupe ennemie résista mais perdît un de ses drapeaux. C’était un drapeau français amputé des armes françaises frappées habituellement sur le fonds bleu, blanc, rouge. Nonobstant l’absence des armes, les français ont déduit que les indigènes ne souhaitent que la liberté et non l’indépendance. D’où la nécessité d’un nouveau drapeau. Mais cela ne contredit nullement la tenue du congrès de l’Arcahaie. Ce dernier répondait à une urgence d’unité et de redéfinition des stratégies pour mettre l’ennemi en déroute. Le 18 mai 1803 serait la reconnaissance de Dessalines comme chef de l’armée indigène, l’allégeance de Lamour Dérance aux troupes indigènes, l’union entre les indigènes, l’organisation des stratégies pour chasser l’ennemi. Elles sont légion, les histoires qui infirment la création d’un drapeau à l’Arcahaie.

Au retour des troupes de Lamour Dérance, des navires françaises font feu sur les bages des indigènes et ramènent un captif. Interrogé, ce dernier raconte tout ce qu’il sait et n’évoque jamais la création d’un drapeau.

Le 19 mai 1803, Dessalines écrit une lettre à Geffrard qui combattait dans le sud mais ne lâche pas un mot sur une quelconque création de drapeau.

À Vertières on remarquait des drapeaux noir et rouge et non bleu et rouge. Ce qui serait impossible s’il y avait une création de drapeau dans le congrès de l’Arcahaie quand on sait que les troupes de Lamour Dérance qui portaient le drapeau noir et rouge ont fait allégeance à Pétion et Dessalines. Quatrièmement, au regard d’un tel événement, des généraux, comme Christophe, n’ont pas été invités. Ce qui fait pencher la balance encore plus.

Les spéculations pullulent aussi autour des couleurs du drapeau. La première est simple : le drapeau haïtien n’est qu’un drapeau français amputé du blanc. La deuxième concerne noir et le rouge. Le 15 janvier 1765, le comte d’Estaing, au nom de la France, regroupait des indigènes et les envoyait combattre contre l’Angleterre aux États-Unis. Pour leurs prouesses militaires, ils ont été décorés par une médaille de la vertu et de de la valeur adjointe à un ruban noir et rouge. Les indigènes y ont attaché beaucoup de fierté. La troisième stipule que les couleurs auraient eu des significations mystiques : il a été raconté que Dessalines, Hougan lui-même, servait un loa appelé Ogou feray dont les couleurs sont le rouge et le bleu. Il est le dieu de la guerre dans le Panthéon Vaudou. Cependant, dans la constitution du 20 mai 1805, Dessalines stipule que les couleurs de la nation sont noir et rouge. On dit, par là, que l’empereur voulait mettre le pays sous rite des Ciampula ou champwèl, une société secrète dont les couleurs sont le rouge et le noir.

Par dessus tout, le 18 mai doit être fêté avec ferveur et patriotisme. Il est le rempart qui permet de ne pas flancher. Le capital sur lequel se fonde une nation est : un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire. Celles qui n’en ont pas doivent en créer. D’où l’urgence du mythe. Il rappellera aux descendants les gloires du passé, la volonté de vivre ensemble dans le présent et les projets communs pour le futur. Les Romains – peuple digne, fier et noble – ont puisé leur fierté dans le mythe de Romulus et Rémus.

Autrement dit, le 18 mai n’évoque pas seulement la fête du drapeau, c’est aussi un moment pour se repenser comme peuple, pour renouveler notre volonté de vivre ensemble. D’ailleurs, il n’a jamais eu de moment si propice pour repenser les relations mulâtres-noirs par rapport à la rencontre de Pétion et Dessalines en 1803. Une nation n’est pas une race, une langue. C’est une agrégation d’hommes qui se crée une conscience morale et qui partage l’idée d’un avenir commun !


Pour le drapeau, contribution à la recherche sur les couleurs Haïtiennes de Claude Bonaparte Auguste et Marcel Bonaparte Auguste.

Vodou dans la vie et la culture haïtienne : puissances invisibles de Claudine Michel et Patrick Bellegarde-Smith.

Qu’est qu’une nation de Ernest Renan.

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Mike Creedlyn Eugène

Étudiant à la Faculté des Sciences Humaines (UEH).
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