La révolution de 1843 : un modèle pour la lutte d’aujourd’hui ?
Dans son ouvrage « Essai historique sur la révolution de 1843 », présenté par Michel Soukar, Horace Pauléus Sannon, retrace tout un chapitre d’histoire allant de l’après indépendance jusqu’à 1843, dans laquelle, non sans l’habilité d’un bon historien, il fait ressortir l’objectif de cette démarche et les causes de son échec.
Si l’histoire se répète toujours, la révolution de 1843 a beaucoup à partager avec les différents mouvements populaires qui depuis près de trois ans tentent de révolutionner le statu quo en Haïti. De la jeunesse des militants au caractère despotique des présidents, les similitudes de ces deux périodes sont flagrantes. Faisons le point sur ce livre qui présente un moment combien déterminant pour le pays mais que les hommes d’alors n’ont malheureusement pas su exploiter ; livre qui peut du même coup servir de guide afin d’éviter les faux pas de ces insurgés du 19e siècle.
Quoique dans cet essai historique Horace Pauléus Sannon ait voulu faire ressortir l’apport des gens du Sud dans la révolution de 1843, le livre décrit néanmoins, sans élan de fanatisme, l’originalité du mouvement et conserve toute l’objectivité qu’on reconnait aux œuvres scientifiques. Soukar, dans sa présentation, nous dit : « [Il] interprète les faits par le milieu, la race et le moment ». Là réside toute la philosophie qui imprègne ses écrits.
« Essai historique sur la révolution de 1843 », publié en 1904, décrit un chapitre de l’histoire d’Haïti où des insurgés (une « opposition » de jeunes, pour la plupart des parlementaires de grand calibre outragés par les mauvais us d’un despote (Boyer) dont le règne a duré trop longtemps) ont, par la dialectique et par les armes, réussi à sortir du joug qui les accablait pour, dans la foulée, endosser un autre duquel ils n’échapperont pas. Malheureusement, ces indignés menés par Hérard-Dumesle et son ainé Rivière, n’ont pas pu poser les jalons d’une Haïti meilleure. Pourtant, ils en avaient eu l’occasion, déplore l’historien Sannon.
Le livre est divisé en trois grands moments. L’auteur y convertit le lecteur en témoin de la révolution tant il l’amène au cœur des événements, le fait voyager dans les colonnes du Manifeste, l’assit à la lecture des correspondances. Cette méthodologie, quoique l’apanage de toute œuvre historique, est différente chez Horace, qui lui ne néglige aucun détail tant par le style que par probité intellectuelle.
De prime abord, on le voit faire une apologie, non flatteuse pourtant, de la région du Sud. Cette région qui, pour lui, représente le foyer des différentes révolutions menées dans le pays. Il explique cette tendance salvatrice des gens du Sud, par la grande agglomération que forme la région, son relief impoli et sa proximité par rapport à la mer. Il poursuit pour présenter les antécédents historiques à la révolution. On découvre dès le premier chapitre la toile de fond sur laquelle il étendra tout le livre : le despotisme de Jean-Pierre Boyer. Pour Horace Pauléus Sannon, ce sont entre autres, la mauvaise politique de Boyer, s’étant courbé à l’exigence du paiement de la dette de l’indépendance et ses différents actes d’ingérence dans les affaires du parlement qui ont provoqué le mouvement de 1843.
Il décrit le gouvernement de Boyer comme extracteur. Le putsch de ce dernier contre les parlementaires en 1839 a mis de l’huile sur le feu qui se consumait déjà, à l’état latent, à l’intérieur du corps législatif. Ces députés révoqués en 1839, tous réélus en novembre 1842, formaient, accompagnés d’autres figures de l’époque, l’opposition instigatrice du campement de Praslin en 1843 qui provoquera la chute du président Boyer. Cet état de siège à Praslin, avec les différents exploits de l’armée populaire, représente le deuxième moment de l’ouvrage.
La troisième partie du livre décrit le court passage de Rivière Hérard à la tête pays ; élu devant l’assemblée constituante, son échec dans la partie Est de l’île, causé par la capitulation des troupes du Nord (environ dix mille hommes, qui signeront le manifeste de leur scission d’avec le reste du pays le 25 avril 1844) dirigés par Pierrot face aux quelques cents hommes de Santana. Horace a également souligné le rôle du clergé dominicain dans l’émergence de ces conspirations séparatistes qui vont occasionner la sécession définitive de la partie espagnole en 1844.
Par ailleurs, il fait un bilan de la révolution en y regroupant sa force, son échec et la nouvelle politique, dite de doublure qui s’était installée. A son grand regret, dit-il à la fin du livre, « la patrie par cet échec a perdu la meilleure sinon l’unique occasion d’être libre ».
Rapprochement avec la situation actuelle
Comparée à l’ère du régime de Boyer, la situation à laquelle se trouve aujourd’hui confronté le pays nécessite elle aussi une révolution, toutes les conditions étant réunies. De la révolution de 1843 qui peut nous servir de modèle, on ne saurait commettre l’erreur de ne retenir que l’échec. Horace insiste sur le fait que c’était une révolution des jeunes contre les vieux. En effet, elle a été initiée par des intellectuels qui, au moyen de la presse et d’éloquents débats dans les deux chambres, ont soulevé à l’insurrection tout le pays, en commençant par le Sud. Ainsi, lors de la révolution, les prouesses des jeunes protagonistes du mouvement, pas moins que l’échec, étaient tout aussi remarquables.
Aujourd’hui, en Haïti, force est de constater une attitude un tant soit peu similaire à celle d’avant 1843. En effet, sans vouloir généraliser, nous avons une jeunesse qui ose, quoique timidement, dire non aux gabegies qui gangrènent les institutions publiques au grand dam du peuple. Comme à la veille de la révolution de 1843 où il fallait sortir du joug de Jean-Pierre Boyer ou plutôt de la misère dont il était le suppôt. L’urgence d’une sortie de crise est aujourd’hui également indispensable. Les différentes politiques mises en place par Boyer en vue de régler la dette de l’indépendance ont conduit le pays au chaos. Il utilisait les faibles ressources des paysans pour collecter des fonds pour payer la dette. Il a voulu maintenir un bras de fer tout en évinçant le législatif. Voilà, parmi d’autres, les raisons qui ont occasionné le mouvement de 1843.
La conjoncture actuelle du pays est beaucoup plus inquiétante : la misère sous toutes ses formes, dépréciation de la monnaie nationale au plus bas niveau, l’insécurité alimentaire et l’insécurité sociale. Une situation politique tout à fait instable, tous résultats de la corruption généralisée qui sévit depuis bien longtemps dans le pays. Par conséquent, la jeunesse ne saurait rester indifférente. Elle ne l’est pas restée d’ailleurs. Comme nous l’avons souligné plus haut, elle tente tant bien que mal de sortir le pays de ce bourbier dans lequel il patauge. La révolution y est enclenché depuis tantôt trois ans, avec les évènements des 6 et 7 juillet 2018. Pourtant, elle peine à aboutir, faute de conscience généralisée. De plus, la repression du gouvernement sur les manifestants est l’un des principaux obstacles aux mouvements.
Par ailleurs, l’idée d’une révolution pour renverser la situation semble effrayer les moins courageux, sinon ceux dont la situation du pays laisse encore indifférents. Néanmoins cette jeunesse, ou plutôt la partie qui s’insurge, n’entend pas lâcher prise. Elle joue de tous ses moyens afin de libérer le pays. Leur combat, loin d’être aussi remarquable que celui mené par les insurgés de 1843, peut aboutir à un renversement de situation ; il suffit de toujours souder ses forces et de ne jamais capituler devant l’opposant.