Tribune

Les bruits de nos pas

Tout est dans l’ombre. Les crises socio-économiques et politiques persistent à chaque coin et recoin. La démocratie tant rêvée meurt à leur passage. À chaque moment de désespoir, on nous fabrique une mascarade qui annonce un nouveau jour où la vie pourrait être belle. Les accords en désaccord sont l’apanage de notre idéal démocratique : émotion, folie…

Et comment dire qu’on a cambriolé le coffre-fort du tribunal avec le dossier de Monferrier Dorval ? Tu l’avais oublié, ce monsieur ? Ne t’inquiète pas. Chez nous, on n’a pas l’habitude de prendre tout ce temps à penser à ceux et celles qui sont déjà partis. Au contraire, je suis très nuisible. Pourquoi réveiller le chat qui dort ? Notre passage tant chéri de la tradition biblique : « laisse les morts ensevelir leurs morts ». Voilà le sens de la vie !

À la brunante, à l’heure où le soleil cède sa place à la lune et aux étoiles. C’est peut-être le plus beau moment de la journée. Assis avec ses amis, le jeune homme hurle de toute ses forces pour savourer la beauté de la nature. Tourment, calamité. Tout s’enchaîne, se baise et s’exclut mutuellement pour enlever le sourire de l’arrière-saison. Au lendemain, au crépuscule, à Port-au-Prince, à l’autre bord de la frontière Martissant-Carrefour, le jeune homme baigne dans son sang après avoir reçu une balle à la tête. Sa mère vient chercher la mort devant son corps pour lui faire ses adieux. Son unique fils. On entend le déchirement de ses entrailles. Tout est en branle. Une ville en désordre. Et, ne t’inquiète pas, c’est la vie de tous les jours. La douleur sonne et se résonne à l’autre bout.

De Les Irois à Ouanaminthe, notre époque accouche la plus grande pénurie jamais imaginée. Les oiseaux chantent le bourrèlement des êtres de chair et de sang.

Toute part d’humanité est remplacée par un idéal de richesse. Donner à son prochain une partie de ce qu’on a est un signe qu’on n’est pas un vrai entrepreneur. Les cœurs ont soif de sensibilité et d’amour.

J’ose dire que l’année 2021 a été l’une des années les plus catastrophiques de l’histoire du pays : l’événement du 7 juillet ; l’industrie du kidnapping qui n’a pas cessé de tordre l’espoir des marginalisés ; le déploiement des gangs armés sur tout le territoire national ; le tremblement de terre qui a ravagé le Grand sud ; les crises socio-économiques et politiques.

Pourtant, l’année 2022 s’annonce beaucoup plus triste et douloureuse. La royauté s’installe dans les deux (2) principales branches de l’exécutif (primature et présidence). Le roi, lui, s’accapare de tout. Que dire des faiseurs de lois ? Trop de lois ? Malgré tout, ils sont là : immunité, privilèges, revenus, et ceci, sous la direction du roi. Nous sommes le seul pays à avoir fait cette expérience à l’heure actuelle. Oh ! Le roi règne en maître. Je pense à Louis XIV. Non, il n’était pas si dangereux et puissant. Toute la gloire est au roi.

Toutes les chorales chantent une seule chanson. Oui, elles consonnent et dansent sur un rite où les musiciens sont les politiciens traditionnels. Tous chantent. Même celui qui n’a pas voix au chapitre. La belle formule. Quelles voix de cigogne ! Alors, ne me demande pas. Le peuple n’y échappera pas. Pour lui, on chante sa vie plus que toujours. Ce refrain bourré d’énergie est sur la bouche de tout le monde : vive les accords. Après, ce sera des journées de mobilisation. Soit dit en passant, Et ce bon « vieux » avocat qui a toujours des phrases toutes faites pour exprimer sa volonté manifeste de lutter contre la misère et le système en place, où est-il passé ? Qui sait ? Qu’importe !

Après, il y aura l’émergence d’un nouvel acteur de lutte qui criera de toutes ses forces : « combattons et luttons pour réclamer nos droits : droit à la santé, droit au logement, droit à l’éducation et tous les autres droits. » Puisque ce sera la mode, tout le monde voudra être au rendez-vous. Il y aura un groupe d’étudiants à l’Université d’État d’Haïti et d’autres secteurs de la vie nationale qui, avec leur fierté en tant que démocrates, enveloppe à la main, réclameront leurs droits d’avoir accès à un boulot. C’est l’aube d’un nouveau drame. C’est dangereux quand, dans un pays, des étudiants ont cette audience. Mais, ce qui est sûr, depuis belles lurettes, tout le monde comprend bien que ces défilés n’auront pour seul résultat que d’accoucher de nouveaux gardiens de pérennisation de ce système pourri.

Il faut dire que le peuple n’a pas tort. Il y a tout simplement un manque. Manque d’intellectuels qui éclairent la conscience collective. Le rêveur premier ministre, l’ancien député et sénateur, fruit des accords, a fait son temps. Ne pensons même pas qu’il y aura du nouveau. Revenons à un scoop ! Le jour où il était l’invité à l’émission booster à la radio méga, regardons qui était avec lui. Pourquoi parler de transition avec les mêmes acteurs ? Puisque le concept est d’actualité, tout le monde le répète. Je préfère être Ranciérien. Je persiste à croire que la démocratie n’est pas une fin en soi. C’est une manière de vivre. Pas de transition. Les couleurs de l’arc-en-ciel ne changent pas. On chante la même chanson. Toujours les mêmes sons. Et ce sera plus tragique. Ces candidats sibyllins tirés des accords, choisis selon un processus que les théoriciens appellent démocratie consensuelle, ne peuvent rien offrir. Il faut peut-être se demander pourquoi. La raison est simple : ils sont choisis par les mêmes politiciens traditionnels.

Nos problèmes sont tellement profonds que deux ans ne serviront à rien. Il y aura tout simplement des nouveaux riches. Et après, ils céderont la place aux anciens, ceux pour qui ils faisaient un sale boulot. Comme la politique est une pièce de théâtre où chaque personnage joue son rôle dans l’espoir de camoufler le public avec un brainstorming de satisfaction, amusons-nous donc. En s’amusant, cherchons à comprendre le jeu des acteurs. Car, ils chantent notre sort. Un moment si inouï arrive, le temps de mettre fin à cette classe politique, nous cherchons à la réincarner.

En écoutant la plus belle chanson de l’hiver, des gens meurent de faim dans les banlieues. Si ces candidats étaient conscients de notre état actuel, ils hésiteraient avant de se porter candidats. Malheureusement, le martyre des citoyens et citoyennes ne les intéressent pas. Ils ne sont intéressés qu’à accroître leur richesse. Sur les réseaux et médias sociaux, la perception se construit. On n’a pas besoin de suivre des formations pour être journaliste. Avec un smartphone, tout est en ordre. C’est la résultante de la démocratie de masse où les médias et réseaux sociaux constituent des moyens d’exercer ses frustrations et de mener son combat politique. Tout le monde peut dire tout ce qu’il veut sans aucun recul. La dictature de l’instant. Le pays n’est rien d’autre qu’une terre brûlée. Sans directives, nous voguons sur les vagues de l’océan. Nous sommes perdus dans un monde où le bonheur n’a aucune importance. Ce concert du jour et des nuits sonne le cor avec une candeur nébuleuse. Toutes ces choses-là sont les retombées de nos indifférences. Sur ces entrefaites, pour percer ce mystère gramscien, je hais les indifférences.

Westevenson Clovis

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