Société

Les enfants face à la violence conjugale

La violence conjugale est le fait par lequel un partenaire utilise la force ou la contrainte pour perpétuer ou promouvoir des relations de domination. Il en existe différentes formes: physiques, sexuelles, verbales, psychologiques et même économiques. L’auteur de ces violences est l’homme dans la très grande majorité des cas. Ce qui constitue une violation des droits fondamentaux et des libertés fondamentales de la femme.

Cependant, nous oublions qu’en dehors de la relation entre les deux partenaires qui se dégrade à cause de la récurrence de ces violences , il existe un être vulnérable qui paie le prix fort: un enfant. En effet, la violence conjugale fait partie de la problématique de la maltraitance faite aux enfants. Et souvent, les parents découvrent la gravité du problème assez tard.

Esther, âgée aujourd’hui de 19 ans, est en NS4 dans un lycée à Port-au-Prince. Fille unique de Micheline et de François, tous deux des quarantenaires habitant la capitale haïtienne, elle a toujours été témoin des incessantes querelles entre son père et sa mère. La jeune fille, qui est aujourd’hui majeure, a vécu une adolescence troublée, marquée au fer rouge par les accablants conflits conjugaux. Aujourd’hui encore, elle se souvient de ces nombreuses nuits sans sommeils et de ces journées ténébreuses. « Mon père et ma mère se disputaient souvent et à n’importe quel moment de la journée. Ils pouvaient passer toute une nuit à jurer à haute voix. Sans gêne, ils déversaient leurs acrimonies l’un sur l’autre sans se soucier ni de ma présence ni de nos voisins », se rappelle la jeune fille.

Une enfance bouleversée

Esther (pseudonyme utilisé pour protéger la vraie identité de la jeune femme) a vécu pendant 16 ans dans la commune de tabarre avant de déménager à Pétion-Ville avec ses parents. Elle définit ses 16 premières années comme un martyre. Bagarre, déception, honte, la liste est longue pour définir l’adolescence d’Esther. Etant fille unique, elle n’avait pas un grand frère ou une grande sœur avec qui partager ces moments douloureux. Toute seule, elle encaissait. « Mes parents m’aiment beaucoup, ils me témoignent toujours de l’affection. Mais ils ne savent pas ce que ça me fait de les voir se disputer tout le temps. Quand ces moments là arrivent, ils oublient complètement mon existence et je suis obligée de rester dans ma chambre à écouter les cries de ma mère », déclare-t-elle. « Un soir, reprend Esther, après plusieurs jours sans rien avaler, j’ai perdu connaissance et je me suis réveillée à l’hôpital. À chaque fois qu’on me donnait à manger, je les jetais et c’est après mon réveil à l’hôpital que j’ai décidé de leur dire combien ils me faisaient du mal. »

En Haïti, des enfants comme Esther, il en existe beaucoup. Vulnérables, ils sont confrontés dès leur plus jeune âge à des situations familiales traumatisantes. Selon la psychologue Ruth Dormeus, les conséquences de la violence conjugale sur un enfant qui vit avec ses parents sont énormes. Ils peuvent être traumatisés, avoir de graves problèmes de santé comme: le retard de croissance, des maux de tête, des troubles du sommeil et de l’alimentation. Ils pourront présenter des troubles de l’adaptation: phobies scolaires, angoisse de séparation, difficultés d’apprentissage et des troubles de la concentration. « Les enfants victimes de violences conjugales présentent 10 à 17 fois plus de troubles du comportement que ceux vivant dans un foyer sans violence, dont des comportements agressifs vis à vis des autres enfants », a fait savoir la psychologue.

Ruth Dormeus est psychologue-thérapeute chez MISSION OF TRUTH, une organisation internationale à but non lucratif qui aide les enfants à s’assurer d’une bonne santé mentale. Elle nous explique que 50% des jeunes qui ont eu recours à la délinquance comme mode de vie ont vécu dans un milieu familial violent durant leurs enfances. » L’enfant qui grandit dans un climat d’insécurité développe une grande détresse face aux violences. Il ressent l’incompréhension, la peur et se sent impuissant face à la menace de voir mourir un de ses parents, de mourir lui même ou d’être abandonné ».

Des traumatismes divers

Les disputes qui entraînent la violence peuvent faire vivre à un enfant différentes émotions. Selon Ruth Dormeus, l’incompréhension, la crainte, l’inquiétude et l’augmentation du stress en font partie. « Même tout petit l’enfant peut se demander s’il est la cause du conflit. L’enfant en question sera triste de voir sa famille, qui constitue la base de son sentiment de sécurité, se disputer. Il peut aussi en venir à se préoccuper du bien-être de ses parents et éviter d’exprimer ses besoins et ses difficultés en pensant que c’est pour les soulager », selon la psychologue.

En effet, les conflits parentaux peuvent entraîner une augmentation du stress chez l’enfant. Au moment d’une dispute, il ressent que quelque chose ne va pas, même s’il ne comprend pas toujours le sens des mots. « L’enfant entend le ton de voix ferme, sec et fort de ses parents. Il voit qu’ils ne sourient pas, qu’ils ont le visage tendu et qu’ils sont moins réceptifs à ses demandes. Il peut aussi sentir que leurs mouvements sont plus brusques et leurs câlins moins senties », expose la psychologue, qui est également co-fondatrice de CARD Medical Assiociation, une association qui travaille dans le domaine de la santé mentale et physique. Elle explique que même si le cerveau de l’enfant est en plein développement et qu’il est incapable de comprendre concrètement se qui se passe, l’enfant dont les parents se disputent fréquemment souffrirait d’anxiété, de troubles du sommeil et de difficultés à gérer ses émotions.

Des séquelles importantes

La vie familiale constitue une des expériences de vie les plus stressantes qui soient et elle exige de grandes capacités d’adaptation à cause des multiples défis à affronter. De l’enfance à l’âge adulte, la vie familiale est en perpétuel changement; à chaque cycle de vie: naissance, prise en charge du nourrisson, entrée à l’école, l’arrivée de l’adolescence, etc. La famille doit s’adapter de nouveau et réussir à concilier des besoins parfois divergents.

Le lever, le coucher, les repas, les devoirs, les tâches domestiques, les heures de rentrée etc. Sont autant d’occasions qui déclenchent des conflits « normaux » que l’on retrouve dans presque toutes les familles. Mais les séquelles des violences conjugales peuvent influencer un enfant devenu adulte dans sa vie familiale, et ils sont graves. « Devenu adulte, cet enfant peut avoir des difficultés de communication avec son/sa partenaire, nous explique Dorméus. Si c’est un garçon, il peut développer des troubles à l’avenir qu’il ne pourra pas contrôler et qui peuvent être la cause de violence dans sa vie de famille. Quand un enfant vit et assiste la violence entre ses parents, il encaisse et a une forte chance de reproduire le même acte sur sa compagne. Et c’est toujours après l’acte que la personne va revenir dans son bon sens et avoir des regrets. »

Une forme de violence psychologique à éviter

L’exposition à la violence conjugale n’est pas un phénomène isolé et touche un nombre important d’enfants a travers le monde. Les violences conjugales impliquent une femme victime et un homme agresseur. En dépit de la réciprocité de la violence au sein du couple suggérée dans certaines enquêtes épidémiologiques, les enfants sont davantage susceptibles d’être témoins d’actes de violence entre leurs parents. « L’exposition à la violence conjugale est une forme de mauvais traitement psychologique qui se manifeste de plusieurs façons puisqu’elle a pour effet de terroriser l’enfant, de l’isoler par crainte ou honte de la violence et, enfin, de le corrompre en le socialisant à l’abus de pouvoir et à des formes inadaptées de relations interpersonnelles » soutient la co-fondatrice de CARD Medical Association.

Ruth Dormeus prévient que tous les enfants ne sont pas affectés de la même manière et avec la même intensité par la violence conjugale à laquelle ils sont exposés. Mais, dit-elle, les difficultés d’adaptation observées sont comparables à celles d’autres formes de maltraitance. « Comme je l’ai deja expliqué, Il y a beaucoup de consequences graves sur la sante mentale et physique de l’enfant. Il faut penser aux enfants, leur donner la priorité sur la violence, leur éviter les dispute, les échanges et interactions tendues. Même s’il ne voient pas les actes, ils peuvent sentir le courant, qu’il y a quelque chose qui ne marchent pas, car la connexion et l’energie d’un enfant à ses parents ne mentent jamais. Faites passer la santé de vos enfants en premiers, protégez-les », conclut la psychologue.

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Marckenley Élie

Marckenley Elie est un passionné de la lecture. Rédacteur à Rektili, il pense qu'on peut lutter contre la désinformation qui est toxique et meurtrière.
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