L’impunité : une entrave de taille au métier de journalisme
L’impunité est l’un des problèmes cruciaux que confronte ce pays. En effet, tout le monde ou presque peut entreprendre des actions les plus viles qui soient sans être sanctionné par la justice ni par la société. Dans cet article, nous nous intéressons non pas à l’impunité dans sa globalité, mais plus précisément à l’impunité que jouissent les personnes qui perpètrent des actions plus que sanctionnables à l’encontre des journalistes et travailleurs de la presse.
Vous n’êtes pas sans savoir que le journalisme est un métier à haut risque. Certes, même dans les pays dits développés, il arrive que des journalistes se fassent assassiner dans l’exercice de leur métier, l’un des cas les plus récents et médiatisé est celui de Jamal Khashoggi assassiné en octobre 2018. Produire des contenus de type journalistique : reportage, enquête, sur des dossiers épineux ; peuvent coûter la vie aux journalistes qui ne font que leur travail.
En Haïti, il n’est pas rare de voir des journalistes se faire tabasser, se faire tirer dessus lorsqu’ils couvrent une manifestation par exemple, ou d’entendre qu’on a assassiné tel ou tel journaliste. En somme, en Haïti nous avons notre lot d’assassinats, de viols, de passages à tabac de journaliste et notre lot d’affaires classées sans suite.
Un survol historique
Il faut dire d’emblée que la question de l’impunité est présente depuis la période de la colonie de St Domingue. En effet, un journaliste du nom de Joseph Payen, débarque dans la colonie afin de pratiquer le journalisme avec l’autorisation du roi français. Ayant un regard assez critique sur ce qui se passe dans la colonie, il est arrêté en 1724 et renvoyé en France, de quoi poser de bonnes bases pour la suite.
Selon le journaliste Jacques Desrosiers secrétaire général de l’AJH (Association des Journalistes Haïtiens), on a recensé pas moins de 27 cas de journalistes, assassinés, roués de coup, violés, disparus dans le pays dans l’exercice de leurs métiers, en tout cas ce sont les cas qu’on a réussi à dénombrer. Toujours selon Jacques Desrosiers on a reparti ces affaires en six catégories : Des assassinats, des enlèvements suivis d’assassinat, des disparitions, des arrestations, des viols, des agressions de tous les jours.
On peut citer Jean Dominique assassiné devant les locaux de sa radio le 3 avril 2000. Les assassins n’ont jamais été identifiés, malgré plusieurs rumeurs. Ou encore, Gasner Raymond assassiné le 1er juin 1976 à seulement 23 ans, suite à un dossier sur une grève des ouvriers de la cimenterie d’Haïti. Ezéchiel Abélard, qui a disparu à Fort Dimanche des suites de tuberculose même si des sources tendent à dire que la tuberculose fut un prétexte afin de l’éliminer. On a Yvonne Rimpel, militante et journaliste, enlevée en pleine nuit, en 1958 retrouvée le lendemain sur la route de Delmas, dans un état critique, le corps balafré, les doigts écrasés, elle a été violée et battue. Felix Darfour, fondateur de l’éclaireur haïtien, li fut très critique par rapport aux attaques des blancs en Haïti et la direction du pays par les mulâtres. Il fut arrêté en 1822, traduit en cour martiale et abattu. Plus près de nous dans le temps, on pourrait mentionner, Alix Joseph, Rospide Pétion, Vladimir Legagneur, Néhémie Joseph ou encore Diego Charles, pour ne citer que ceux-là. A noter que, sur les 27 cas recensés 17 d’entre eux ont été perpétrés à l’encontre des journalistes entre 2000 à 2021, selon Jacques Desrosiers, ce qui peut paraître paradoxal, étant sous l’ère de la « démocratie ».
Quel serait le rôle des associations et des journalistes face à l’impunité.
Pour combattre l’impunité dans une société qui est foncièrement injuste, les médias doivent continuer à jouer leur rôle. Bien que la justice soit en déclin et ne peut exercer une de ses fonctions principales qui est d’imposer des sanctions. Les médias sont investis d’un pouvoir assez considérable, qui est d’informer, d’éduquer le grand public. Ils ont cette capacité à éclairer le grand public sur des enjeux considérables, des sujets d’intérêt générales comme, l’impunité que jouissent certaines personnes qui commettent des actions plus que méprisables envers les journalistes et les travailleurs de la presse. Dans une société qui tend à oublier beaucoup trop rapidement, où le travail de mémoire n’est pas d’ordre prioritaire, les journalistes doivent constamment faire ce plaidoyer contre l’impunité, et tenir la question vivante dans l’opinion publique, dans l’actualité. Pour ce faire ils doivent inscrire leurs actions dans la production de contenus sur le sujet via, des reportages, enquêtes, grands dossiers. D’autre part, les patrons de médias, les organisations, les associations devraient jouer leur partition, qui consisterait à financer ce type de contenu entourant cette thématique.
Bien qu’on ne veuille pas se leurrer, mais l’Etat à un rôle prépondérant à jouer dans ce combat, ce serait naïf de croire le contraire. On ne peut évoquer liberté d’expression, liberté de la presse, impunité, justice et on en passe, sans évoquer l’Etat de droit. Et c’est à l’Etat de faire en sorte qu’il y ait cette primauté du droit, du respect de chacun sur le pouvoir politique où chacun est soumis à un même droit fondé sur le respect des normes.
Quoi qu’il en soit, la corporation elle aussi doit combattre dans une certaine mesure l’impunité dont jouissent certains journalistes à faire du n’importe quoi, ça aidera à soulever les bons débats, à produire des contenus plus qualitatifs. Il est important de noter que, ce combat est celui de toute la société pas seulement celui de la corporation. Il est de notre devoir aussi de combattre l’injustice sous toutes ses formes, car là où l’injustice est systémique l’impunité aussi est systémique.