Opinion. Il faudrait repenser le « prix public »
Cet article, qui avait été préalablement publié sur les comptes Facebook et Twitter de l’auteur, a subi certaines modifications afin d’être adapté ici comme contenu éditorial.
Depuis la fin de la semaine écoulée, je suis stupéfait de constater qu’une journaliste d’un grand magazine haïtien participant à un concours d’écriture de nouvelles utilise son influence afin de maximiser le nombre de votes pour son texte. Son message d’invitation, pour le moins publicitaire, comprend des termes comme : « […] ou à tout simplement voter ». Ce qui démontre clairement que ce qui intéresse la jeune présentatrice en premier lieu, c’est le vote.
Ainsi, la première conclusion à laquelle j’avais pu aboutir, c’est qu’on devrait repenser le « prix public » dans les concours d’intellect. En ce sens que ce dernier doit être considéré comme une récompense pour le candidat, en raison de sa capacité à influencer et mobiliser une communauté autour de son travail (le cas de notre candidate vedette), et non comme la reconnaissance d’une certaine compétence de la foule, émotive et partisane, à juger de la qualité d’une œuvre (travail scientifique, exposé, dissertation, écrit littéraire) quelconque ; ce qui, d’habitude, octroie à ce « prix public » une valeur intrinsèque majeure qui ne lui est au contraire que superficiellement foncière.
Notre candidate vedette est peut-être bien consciente de sa démarche. Autrement, son comportement serait dû à une perception erronée, par ignorance de la valeur qui distingue les différentes catégories de prix (Jury, public et mention spéciale). Mais dans les deux cas, cette démarche serait stimulée par anticipation à une appréciation défavorable du jury. Notre candidate vedette aurait alors jeté son dévolu sur ce fameux « prix public » de quoi s’assurer à tout prix une place sur le podium afin de satisfaire un certain amour-propre dans un souci de développement personnel ou quelque autre motivation fantaisiste.
Or, dans les meilleures conditions, obtenir le « prix public » pour une œuvre ne veut pas dire que l’œuvre en question est mauvaise. D’ailleurs, celle de notre candidate vedette serait même intéressante à bien des égards. Une histoire profonde et bien poignant dont, littéraire amateur étant, j’ai pu bien apprécier la lecture. Le jeu des personnages y est travaillé avec une subtilité et une élégance hors pair. Au départ, on pourrait croire qu’il s’agissait d’une seule martyre, d’une seule mort mais au fur et à mesure tout devient limpide… tout devient moitié ou peut-être double. Une héroïne, qu’on croyait schizophrène, racontant les sévices que faisait subir son père non à elle mais à son autre. Une mort qui amène une seconde… deux ans plus tard. Des images éloquentes et de profonds symboles, clin d’oeil aux violences faites aux femmes. Et pour couronner le tout, le choc de la chute… on découvre, ébahi, que tout ce récit vivant-vibrant avait été délivré par une protagoniste inerte. Je me demande bien pourquoi notre candidate vedette a-t-elle malgré tout visé directement le prix public ?
Le public (son public), a bien sûr accueilli l’initiative. Lui ayant vite emboîté le pas à force d’articles et de retweets, voilà le texte devenu viral. Nonobstant cette audience abondante, la candidate journaliste et influente peine encore à faire équilibrer nombre de lectures (nombre de clics) et nombre de voix.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que la foule que constitue le public, impulsive, n’est bien souvent que peu engagée. Cela va de soi. Si le « pseudo sauveur » qu’elle est trouve une certaine satisfaction dans l’obtention du prix (public) par son ou sa candidate, le simple fait de voter s’érigerait en exercice bien souvent difficile. Malgré tout, il faut souligner le fait que parfois un élan de « bonne action » vienne stimuler une solidarité factice, une sympathie fallacieuse qui trouve sa prétendue concrétisation dans le fait de partager ou de simplement cliquer.
Alors, par cette impétuosité stérile du public ou parce que celui-ci paraît plutôt difficile à convaincre, courir après le « prix public » se dessine en périple circulaire. Cercle vicieux. Car il faut à chaque fois remobiliser les atouts, amplifier sa force de combat car c’est celui ou celle qui développe la meilleure stratégie (Marketing) qui l’emporte ou, à défaut de concurrence, celui ou celle qui le vise tout simplement.
Par ailleurs, un voile d’incompréhension semble rendre plus dupe le public qui consacre sa réalisation, lorsqu’il parvient à offrir le prix, d’une certaine valeur, ô combien surcotée. Il devient alors urgent que lumière soit faite. Que tous comprennent que, en dehors des cas où le public est réuni dans une salle (physique) et découvre à peine le candidat ou ayant appris à apprécier la valeur de son talent ou de son œuvre en dehors de tout sentiment, le « prix public » dont il est principal pourvoyeur n’apporte aucune valeur honorifique pour l’œuvre qu’il a si généreusement « qualifiée ».
Ceci est d’autant plus urgent lorsqu’on considère que le plus souvent les objectifs visés par les organisateurs, inavoués la plupart du temps, tournent autour de quête d’audience et d’engagements. Bizarrerie totale : on constate même parfois des concours de catégorie « intellectuelle » auxquels on exige un nombre plancher de « likes » ou « d’abonnements à la page » pour être éligible.
N’en parlons même pas des concours où le vote est payant. Moins fréquent certes dans les catégories intellectuelles, ce type de stratégie à fort relent capitaliste, encore plus incohérente et aberrante à mon goût, dévoile un aspect plus malhonnête de ces concours. Le vote marchandé vient se refléter sur le talent, qu’il ternit ou fait briller, selon le volume de votes que le candidat peut se permettre d’acheter. L’œuvre se mesure alors à l’aune de la valeur financière du candidat et du capital qu’il peut faire amasser les organisateurs. Ce qui, en effet, représente un obstacle pour certains talents en quête de valorisation et d’émancipation.
Tout bien considéré, il ne faut pas là voir un plaidoyer contre l’existence du « prix public » dans les concours exigeant au plus haut point le jugement des experts, mais d’autres considérations, plus rationnelles, par rapport à la question sont sollicitées afin d’éviter toute appropriation de valeur imméritée. Car quand on y regarde de plus près, bien souvent ceux qui vont a priori vers le « prix public » sont ceux qui pensent n’avoir aucune chance de séduire le jury et par conséquent visent de préférence le niveau inférieur du podium et les avantages matériels qui vont avec. Tel ne devrait pas être le cas de notre candidate vedette.