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Opinion. On ne peut se passer des mathématiques

C’est une interrogation qui revient souvent. Parfois moqueusement, parfois avec dépit, certains se demandent quelle utilité auront donc eu ces nombreuses heures de cours de mathématiques. D’autres, qui n’ont pas encore bouclé leurs études classiques se demandent déjà en quoi ces cours seront pertinents sur les voies qu’ils se proposent de suivre. D’autres encore, qui se sont déjà pleinement engagés dans l’arène de leur vie témoignent de l’échec de certaines notions mathématiques à se montrer d’une quelconque utilité pour eux dans les situations de véritable épreuve.

Les vocations artistiques en particulier estiment que l’art n’est pas à propos de mathématiques et qu’il ne saurait se prêter à la rigueur du rationnel. L’artiste serait donc appelé à laisser son esprit exprimer librement son génie sans contrainte, sans calculs. Dans une autre logique plus pragmatique, beaucoup estiment qu’ils n’ont pas à se donner autant de mal puisque de toute façon, d’autres s’en chargeront. Soit parce que d’autres en ont le « talent », soit parce que ces autres seront leurs subalternes puisque, selon eux, ces derniers n’ont compris que les matières scolaires alors qu’eux ils ont compris la vie. Devant ces considérations, on est alors amené à se demander jusqu’à quel point l’utilité de l’une des plus importantes inventions de l’Homme est remise en question.

Les mathématiques : un outil

Car c’est bien ce que sont les mathématiques: une invention. Et les détracteurs de la tyrannie de tous ces systèmes d’inéquations et fonctions exponentielles ont bien raison quand ils font valoir que l’on peut très bien s’en passer. Car, comme pour toute invention de l’homme, la maîtrise des mathématiques n’est pas absolument indispensables à la vie d’un individu. Les exemples sont effectivement nombreux autour de nous comme à travers l’Histoire : ces hommes et ces femmes qui, sans maîtrise réelle des mathématiques, font ou ont fait leur vie.

Mais s’arrêter à cette seule considération est en réalité très réducteur ; ou du moins, c’est ne pas saisir assez clairement la notion d’outil. Puisqu’en fait, l’invention des mathématiques, c’est avant tout l’invention d’un outil ; un outil puissant qu’on a eu de cesse d’améliorer depuis maintenant plusieurs milliers d’années. Or, la fonction d’un outil, ce n’est pas uniquement de nous permettre de faire ce que nous ne pouvions pas faire avant ; c’est aussi nous permettre de faire certaines choses à un tout autre niveau. On pourrait donc tout aussi bien déclarer qu’apprendre à manier une pelle est inutile puisqu’on peut tout à fait creuser son trou à la main, et ce ne serait pas faux. Mais force est de constater qu’avec cette pelle on est tout de suite dans une autre dynamique.

Pour ramener cette réflexion aux mathématiques, elles sont peu nombreuses les tâches que nous éxécutons sans faire les raisonnements que les mathématiques se sont appropriés. Mais ces raisonnements, nous les faisons à l’image d’un trou que nous creusons à la main. Tant que les tâches sont peu importantes, peu exigeantes, sans véritable grandeur, c’est-à-dire tant qu’il s’agit de creuser un trou peu profond ; ça peut aller. Mais, dès lors qu’il s’agit d’effectuer des tâches plus complexes, plus significatives, c’est-à-dire dès qu’il s’agit de creuser un puits, un canal ; il faut la pelle, il faut les mathématiques au risque de voir la tâche bâclée ou devenir insurmontable.

Par ailleurs, ce discours de non utilité des mathématiques commet le péché de ne considérer la question que d’un point de vue individuel. À titre d’exemple, ceux qui tiennent ce discours se gardent en général de dire qu’on a pas besoin d’apprendre à construire la roue puisque peu d’entre eux ont eux-mêmes eu à l’apprendre. Peut-être bien que devant la difficulté de sa construction, ils se seraient également dit que l’on peut tout à fait s’en passer. Ils auraient peut-être même renoncé à leurs envies de voitures de luxe (quelle douce idée pour cette planète en souffrance!). Toujours est-il que, pour un individu, prétendre que certaines notions de mathématiques n’ont pas leur place à l’école, c’est oublier que ces notions ont permis à la collectivité de construire et de lui offrir en tant qu’individu bien des éléments appréciables de sa vie prétendue sans mathématiques.

Contre-excuses

À l’artiste, il faut dire que si son art est véritablement à propos d’expression de soi, alors faut-il donc bien construire les moyens de véhiculer le plus fidèlement possible cette expression. S’il s’agit de communiquer des merveilles aux autres, alors il faut bien mesurer leur compréhension de son langage artistique. Car quelle triste destinée que celle d’un artiste éternellement incompris ! Et à celui qui se proposent de laisser les autres s’en charger, il faut rappeler avec bienveillance les vertus de l’autonomie, de l’importance de se reposer sur les autres par nécessité pratique, par esprit de corps, de communauté et non par capitalisme mesquin ou pour cause de paresse intellectuelle déguisée.

Des super-pouvoirs délaissés

Quand on sait combien nous sommes nombreux à avoir déjà, à un moment de notre vie, rêvé de posséder des pouvoirs fantastiques, il est surprenant de trouver autant de personnes peu disposées à faire l’effort de s’approprier les super-pouvoirs que confèrent les mathématiques !

Entrevoir avec précision les avenirs possibles ? Concevoir un graphique (design) qui captive davantage les esprits ? Mesurer les tonalités de la voix qui boulversent encore plus les cœurs ? Construire des monuments qui subjuguent les générations ? Guérir ceux que l’on disait autrefois condamnés ? Émoustiller les palais de ses convives à la juste mesure ? Faire contenir toute une réalité sur une feuille de papier ? L’appréhender ? La visualiser ? Lui imposer sa volonté ? Influencer les communautés avec certitude ? Les amener à faire les choix souhaités ? Autant de possibilités fantastiques et fragiles que les mathématiques peuvent nous aider à embrasser pleinement ! Mais certains préféreraient probablement un sombre monastère en Transylvanie.

Conséquences d’un apprentissage subi

Ils ne sont que partiellement à blâmer pourtant. Il est légitime d’avoir en horreur ou en ridicule ce que l’on a eu à subir. Et s’agissant des mathématiques à l’école, il est indéniable qu’on a eu à les subir !

Il faut donc mettre les responsabilités là où elles sont. Il faut pouvoir dire que les pseudo-pédagogues du système éducatif actuel ont eux-mêmes construit et développé cette aversion pour les mathématiques au fil des ans. Car ce qui devait être un outil pour la vie est devenu dans les salles de classe une mesure de l’intelligence, une mesure de la personne, un instrument d’oppression dans ce micro-environnement.

Il faut pouvoir dire qu’une mauvaise compréhension de la nature des mathématiques comme outil universel a entraîné des objectifs d’enseignement aberrants. L’école, telle qu’elle se fait actuellement se préoccupe davantage d’enseigner comment creuser un type précis de fossé que d’enseigner à manier la pelle elle-même. Or dans la vie de chaque jour, les individus n’auront pas que ces fossés à creuser ! Il faut comprendre par là qu’en se donnant pour mission de former des élèves dont le seul objectif est d’avoir la moyenne, ils ont réduit les mathématiques à de simples procédures qui se voudraient figées. Or la vie est multiple et changeante et c’est justement l’intérêt des mathématiques de rester fiable et utile dans les situations uniques et imprévues, s’adaptant, se construisant et se déconstruisant.

Il est donc urgent pour ceux qui doutent de la pertinence des notions mathématiques de se réveiller et de ne plus se complaire dans leur victimisation. De mauvaises expériences avec les mathématiques ne doivent pas venir brider la créativité ou la quête de la perfection et du sublime. Elles sont en réalité peu nombreuses les activités que la mesure, la prévision, l’optimisation et autres ne viennent bonifier en en rehaussant l’efficience et la qualité. Il est aussi urgent de proposer une meilleure approche de l’enseignement, de façon à cesser d’écarter de facto d’importantes fractions de la population des hautes préoccupations intellectuelles.

Kitz Sanozier

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Kitz Arbens Sanozier

Kitz Sanozier aime à se définir comme un homme parmi les Hommes. Enfant, il a eu ses livres comme meilleur ami. Aujourd'hui il lui arrive de prendre la plume, convaincu de la force des mots et de la nécessité de nouveaux discours. Haïti dans le cœur, la révolution dans l'âme.
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