Économie

Le cacao haïtien : une denrée négligée

Autrefois grand producteur de cacao, Haïti se trouve aujourd’hui en quelque sorte dépossédé de cette denrée, très prisée, servant à la fabrication du chocolat. Avec une timide production d’environ 5000 tonnes par an, le cacao haïtien cherche tant bien que mal à s’imposer sur le marché international.

En 1502, les quelques habitants de l’île de Guanaja (Honduras), enthousiastes d’assister au débarquement des colons, auraient offert à Colomb des fèves de Cacao et lui auraient fait boire leur boisson sacrée. Le conquérant qui était fort occupé à dénicher la richesse des lieux la trouvait d’une saveur amère et ne se souciait guère des avantages qu’il aurait pu en tirer. Comme les Arabes du golfe qui marchaient pendant des siècles sur le pétrole, Colomb ne se rendait pas compte qu’il y avait là une richesse du futur. Ce sera à Hernan Cortez de le faire découvrir à l’ancien monde. Depuis, le cacao qui n’était qu’un fruit parmi tant d’autres acquiert une notoriété considérable. Sa commercialisation, doublée par l’avènement de la Révolution industrielle, favorisera sa démocratisation.

Il n’est pas facile de remonter aux premières introductions du cacao en Haïti. Cependant, on y trouve trois grandes variétés : forestero, trinitano et criollo. Elles sont généralement cultivées dans les départements de la Grande-Anse et du Nord. De la période coloniale à nos jours, la production du cacao s’engage sur une pente descendante dont elle ne semble pas encore prête à remonter. Le temps de jadis où Saint-Domingue fût la plus riche des Antilles est bien terminé. Le sac de 1789 survenu lors du soulèvement général des esclaves : usines et champs brulés à la veille de l’indépendance ajoutés aux faibles structures de production ont, à eux trois, appuyé sur le levier pour accélérer cette chute vertigineuse. Il est vrai que la contrepartie était à la hauteur des dommages causés : la liberté.

La production du cacao est estimée à 5000 tonnes en 2020 en Haïti, selon AFP. Des grandes familles spécialisées dans la culture et la vente des cacaos, il ne reste que très peu, éparpillées sur tout le territoire et travaillant sur un lopin de terre inférieur à 1 hectare. Si les chiffres sont quasi introuvables, la fédération des coopératives cacaoyères du nord, la Fecanno regroupe plus de 4000 planteurs dans le Nord du Pays.

On ne peut que regretter la chute de la production du cacao qui jouait un rôle économique essentiel dans la vie des des paysans. Aujourd’hui, sa culture ne rapporterait que de maigres ressources et nécessiterait de plus grands soins. Ainsi, pressé par la misère et obligé de céder face à ses besoins immédiats, le paysan Haïtien est plus porté à couper les dizaines de cacaoyers de son lopin pour se consacrer à une culture qui nécessite moins de temps comme le maïs, les haricots etc. De plus, le salaire qu’il en tire ne satisfait guère ses besoins, contrairement à son voisin Dominicain chez qui, la production est à 70000 tonnes en 2020 (AFP). Cette différence de revenu, en plus du fait de la quantité produite, s’explique par le fait qu’en Haïti les fèves de cacao ne sont pas fermentées. Or, la fermentation permet d’obtenir des fèves de qualité aromatique très recherchées sur les grands marchés du chocolat. Donc, au moment où les fèves du Dominicain s’acheminent vers l’Europe, celles du paysan Haïtien sont réservées aux marchés de masse. Point besoin de faire des schémas pour comprendre que la culture du cacao telle qu’elle est aujourd’hui n’est pas une activité viable à long terme.

Outre le côté économique, la culture du cacao est primordiale pour l’environnement. En milieu rural, le charbon est le principal combustible utilisé pour la cuisson. Parmi les arbres abattus se trouve le cacaoyer. Les conséquences de cette pratique sont évidentes : la destruction de la couverture végétale qui devait protéger le sol et les sources d’eau dans les zones montagneuses.

Heureusement, des membres de la société civile prennent l’initiative de redorer le blason de ce secteur. À titre d’exemple, la Fédération des Coopératives Cacaoyères du Nord a beaucoup travaillé pour qu’Haïti puisse exporter des fèves de chocolat fermentées. Le paysan qui gagnait 1USD/kilo, gagne maintenant 2.5 USD/kilo. Aujourd’hui, on peut trouver aux États-Unis le chocolat Acul du Nord, produit ici en Haïti, parmi les chocolats haut de gamme. À un moment où les Européens se tournent progressivement vers les produits bio, Haïti a beaucoup à gagner sur ce coup là.

À l’initiative de l’ONG Agronomes et Vétérans Sans Frontières (AVSF), il a été organisé un salon du chocolat qui s’est déroulé du 30 au 3 octobre 2013. En cette occasion, le cacao Haïtien, grâce aux efforts de la FECCANO, a été sélectionné parmi les meilleurs cacaos d’excellence du monde pour les « International Cocoa Awards ». Tout ça laisse présager qu’Haïti pourrait remonter la pente aussi raide qu’elle puisse être, si l’État y met du sien.

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Mike Creedlyn Eugène

Étudiant à la Faculté des Sciences Humaines (UEH).
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